C2.2 Labyrinthus

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Après cette altercation avec un juge du nom de Blasius, le binôme de servantes se rendait dans l'aile scientifique du château. Tout à fait à l'est, dans les sous-sols d'un grand bâtiment en pierre imitant l'architecture d'une église gothique, se trouvait le laboratoire Labyrinthus.

Cet endroit faisait froid dans le dos à tous les domestiques du château, de nombreuses rumeurs horrifiques étaient contées durant les pauses entre domestiques. Si bien que même la guerrière du Daflad ressentait de l'appréhension à l'approche du bâtiment.

Angie, avec son éternelle bonne humeur, ne semblait même pas se rendre compte de l'endroit où elle se rendait. Et d'un ton enfantin, attendrissant, honnête, elle avait mentionné le fait qu'une soldate Dafladienne pourrait très bien la défendre contre l'ennemi. Encore une ironie.

La rouquine s'arrêta devant la grande porte en bois d'une petite chapelle se trouvant à quelques mètres de l'entrée principale de l'église. Elle observa sa camarade d'un air plus sévère que d'habitude, comme si elle allait lui révéler un terrible secret. Quelque chose d'interdit que personne ne devait entendre. Un changement de comportement qu'Erel ne lui connaissait pas, jamais la soubrette ne s'était montrée aussi sérieuse depuis qu'elles faisaient équipe.


— Erel, une fois entrée, tu ne devras jamais regarder dans les cercueils. Promets-le ! insista la servante d'un ton ordonnateur.

— Des cercueils ? s'​​​​​​​inquiéta Erel.

— C'est comme ça que nous les appelons. On ne sait pas ce qu'ils contiennent et personne ne veut le savoir. C'est clair ?

— Fermer les yeux ne rend pas la tâche plus facile. S'ils font des choses innommables à des prisonniers de guerre ou à des serviteurs du château ! Il faut affronter la réalité.

— Tout est toujours simple pour toi, n'est-ce pas ? Il y a un problème, tu t'y jettes dedans et tu y fais face. Comme si tu n'avais plus rien à perdre, même pas ta propre vie. Il n'en est pas de même pour nous. Moi, j'ai des gens auxquels je tiens, et je veux les revoir de mon vivant.


Angélique avait les larmes aux yeux. La façon dont sa coéquipière prenait toujours la situation et les autres de haut l'avait réellement blessée. La soubrette n'avait pas toujours tenu ce rôle, elle aussi avait une vie, des gens qu'elle aimait. Tout ça, on le lui avait pris aussi. Mais elle n'avait pas perdu espoir, ne s'apitoyait pas sur son sort et par-dessus tout, elle ne souhaitait pas mourir.

Erel n'avait pas répondu à son binôme, préférant lui lancer un regard froid et vide de toutes émotions. La guerrière n'avait aucune considération pour les émotions ou aspirations d'une femme de chambre. Cependant, elle ne pouvait pas l'impliquer dans une situation qui lui coûterait probablement la vie.


— Très bien. Je te promets de ne pas regarder. souffla la Belligérante d'un air désinvolte.

— Je savais que tu étais plus sensible que tu ne le montres. ricana Angélique, son rire était séraphique, une bouffée d'air frais dans ce milieu oppressant.

— Je ne le fais que par principe. Je ne veux pas t'impliquer dans une bataille qui ne te concerne pas.

— Gnagnagna, n'importe quoi!


Angie posa ses poings sur ses hanches en faisant une mauvaise imitation de l'air détaché et froid de son binôme. Erel esquissa un sourire et avança. Elles n'allaient pas rester devant la porte toute la journée.

L'intérieur de la chapelle était sobre, composé de bancs en bois devant une petite estrade présentant une statuette noircie d'un des nombreux Dieux qui vivaient dans le monde d'Idalyce. Erel n'était pas vraiment croyante et donc elle ne put reconnaître la sculpture face à elle.

Angélique guida sa camarade, derrière la statue se trouvait un passage sinueux. Un escalier en colimaçon humide, plus elles descendaient et plus l'odeur de moisie et de pierre humide leur prenait les narines. Il faisait sombre et froid, la servante avait pris avec elle une torche dont la faible flamme rendait l'avancée dangereuse. La guerrière avait trébuché quelques fois avant d'atteindre enfin le fond. Aucune lumière artificielle dans ce lieu, comme épargné de la technologie moderne d'Astéa.

La soubrette avança et l'ex-soldate lui emboîta le pas, elle n'avait pas intérêt à trop s'éloigner au risque de se perdre.

Le petit halo de lumière qu'offrait la torche semblait difficilement lutter contre les ténèbres du sous-sol. Au fur et à mesure qu'elles avançaient, l'humidité pénétrait les vêtements des femmes de ménage, et le froid commençait à leur ronger les os.


— On est arrivé. Tu prends le matériel dans le coin et tu nettoies les cercueils fermés à la verticale. Surtout, tu ne quittes pas cette pièce et tu ne regardes pas à travers le hublot. Répéta machinalement Angélique en allumant plusieurs torches dans ce qui semblait être une pièce.


Impossible de connaître la taille de cette salle ou encore de se repérer dans l'espace de cet endroit, semblant exiguë et à la fois immense. Plus sa coéquipière allumait de torche, et plus le nombre de "cercueils" apparaissait devant elle.

Bien que l'appellation de cercueil ne soit pas la plus adaptée. En les observant brièvement pour ne pas s'attirer les foudres d'Angie, Erel se rendit compte qu'il s'agissait en réalité de capsules d'un métal argenté luisant reliées à un réseau complexe de tuyaux de toutes formes et longueurs. Il y avait sur chacun d'eux, sur une face, un hublot permettant sans doute de voir ce qu'il se trouve à l'intérieur. Le scaphandre métallique dissonait avec l'aspect en vieille pierre et sentant une époque lointaine de la pièce.

Elles commencèrent aussitôt l'entretien de la zone, en silence. Angie n'était pas à l'aise dans cet endroit. Comme tout le monde.

Erel, d'une autre trempe, avait connu la guerre, les morts, les soldats mutilés et d'autres visions à faire pâlir. Sa curiosité était très aiguisée, comme une enfant, le fait qu'on lui interdise de faire quelque chose lui donnait particulièrement envie de le faire. Ce genre d'enfantillage n'avait pas sa place en temps de guerre, mais durant quelques secondes, elle se demanda si cela était un secret Astéen, une pièce secrète de l'Empire?

C'est en se posant ce genre de question qu'elle finit par rompre sa promesse. Alors qu'elle frottait la paroi métallique de la capsule numéro soixante-quinze, son regard se perdit dans la lueur bleu azurée que dégageait le hublot. Durant quelques secondes, elle aperçut dans le liquide d'un bleu cristallin un objet difforme semblant tourner sur lui-même, de chaque côté de cette "chose" se trouvaient des tuyaux qui semblaient l'alimenter d'une substance inconnue. En la fixant, Erel eut l'impression qu'elle s'approchait d'elle lentement, nageant sans membre pour le faire, luttant et se déformant comme empreint d'une douleur déchirante.

Plus elle s'avançait et plus la "chose" prenait une forme infâme, disgracieuse. Elle ressemblait à un fœtus sans membres, une boule de chair incomplète tournant difficilement sur elle-même. Sur la crête dorsale de la créature déformée, une protubérance à la forme cristalline étirait la surface de la "chose". Elle luisait d'une douce lueur blanche apportant un air sacré à la bête qui semblait croître dans ce cercueil métallique.


— Je t'avais dit de ne pas regarder ! s'énerva Angélique en voyant la servante fascinée par ce qu'elle voyait dans le cercueil.

— Excuse-moi, mais il faut vraiment que...commença Erel

— Rien du tout ! Tu m'avais promis !


Erel ne chercha pas davantage à se justifier. C'est ainsi que les servantes terminèrent leur travail. Angélique n'avait plus adressé la parole à son binôme jusqu'à la fin de cette journée. En effet, une promesse avait été rompue. Cela n'avait même pas permis à la guerrière de comprendre ce qui se trouvait réellement dans ces structures métalliques.

Le cristal aubeWhere stories live. Discover now