C6.5 Folie

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— Je vois que vous êtes plus maligne que vous n'en avez l'air. Écoutez bien, Mesdames. Je vous présente mon projet le plus ambitieux, les pierres artificielles ! Un premier pas vers le monde des dieux! s'​​​​​​​exclama le scientifique avec entrain. Le secret de l'élévation de notre espèce vers la vie éternelle et la puissance suprême. Nous serons bientôt les maîtres de notre monde, ces pierres en sont le premier pas.

— Le monde des Dieux? s'étonna Erel.

— Oui mon enfant, bientôt nous deviendrons nous-mêmes des dieux, grâce au savoir des Vexen et à mon intelligence. J'ai été choisi pour sublimer notre espèce, pour guider l'humanité vers sa forme la plus aboutie.

Les paroles du fou n'avaient aucun sens aux oreilles de la guerrière. Il créait des pierres pour devenir un dieu ? Dans l'esprit quelque peu étriqué de la jeune femme, les deux sujets n'avaient aucun rapport l'un avec l'autre. En voyant la mine sceptique de son public, le théâtral Cidolfus reprit son discours d'un air plus pragmatique cette fois.

— Je ne m'étonne que peu du fait que vous ne puissiez comprendre la beauté de cette situation et mon génie. De ce fait, je vais aborder le sujet sous des termes qui feront plus écho à votre exigu sens de la logique, reprit le scientifique avant de se racler la gorge. Les pierres artificielles sont des simulacres des pierres du roi dieu, le même que dans la légende. Cependant, elles sont tout de même moins puissantes que le cristal de l'aube, du crépuscule ou du midi. Mais, cela est suffisant pour nous, pour l'instant.

— Vous partez d'un conte pour enfant pour expliquer en quoi votre génie est supérieur à celui des autres mortels? releva la guerrière d'un ton sarcastique.

— Sortez donc de vos visions préconstruites, très chère. Dans toutes légendes, il y a un peu de vérité. Le Roi-Dieu a existé et a réellement brisé le cristal lumière en trois cristaux qui existent encore aujourd'hui. Ces cristaux seront bientôt tous en notre possession, et Astéa deviendra le royaume le plus puissant. Nous deviendrons des Dieux aux yeux des autres peuples. s'​​​​​​​extasia le vieux fou.

— À quoi cela vous avancerait-il ? Ça n'a aucun sens... souffla la dafladienne.

— Vous ne comprenez pas. Celui qui possède le cristal lumière sera capable de gérer tout le flux de magus du monde entier. La magie n'aura aucune limite, nous pourrons faire des choses inédites !

— Qu'est-ce que cela rapportera au peuple d'Astéa exactement ? Ou bien à n'importe quel autre peuple ? s'​​​​​​​agaça la guerrière.

— La paix universelle ! Nous imposerons nos règles par la magie et personne n'osera se faire la guerre. La science et la magie ne feront plus qu'une, notre société va s'élever à un rang que nous ne rêvions même pas d'atteindre, s'exclama Cidolfus avec passion.

Ce discours aurait presque pu satisfaire la Dafladienne, mais elle se rendait bien compte que le dément ne pensait absolument pas à la paix. Ces expériences étaient les seules choses auxquelles il accordait de l'importance et qu'il chérissait. Ainsi, ces paroles n'étaient pas complètement fausses, le cristal lumière et le magus illimité lui permettraient de réaliser de nouvelles expériences. C'est surtout cela qui l'excitait et le rendait si joyeux.

Les délires du scientifique ne seraient pas la chose la plus affreuse que les deux servantes allaient devoir affronter. Le verbeux scientifique n'en avait pas terminé et il se réservait le meilleur pour la fin. Il ramassa au sol devant ses chaussures noires parfaitement bien cirées le monticule de chair sans vie et arracha d'un geste ferme et assuré le cristal qui en ressortait. Le décaèdre aux angles parfaitement polis entrait parfaitement dans la main de Cidolfus, contrairement à ce qu'avait vu Erel dans le cercueil, ce cristal était couleur sable. Les lunettes en bas du nez, leur interlocuteur observa attentivement l'objet, il soupira d'un air fatigué, ses lèvres se retroussèrent et il fronça les sourcils.

— Encore un échec...quel dommage, souffla Cidolfus. Enfin, bientôt j'aurais la possibilité de renouveler mon expérience, j'espère que vous ferez un meilleur cobaye Dafladienne.

— Je vous demande pardon? vociféra la guerrière.

— Eh bien, pour créer ces cristaux artificiels, il me faut de la matière. Les magulithes seules ne suffisent pas, il me faut...un hôte, les êtres humains sont de très bonnes ressources. Bien qu'il soit difficile d'obtenir leur consentement, de ce fait, les prisonniers sont des matériaux de choix pour mon expérience.

Erel sentit sa gorge se nouer, insinuait-il réellement qu'il utilisait des corps humains pour faire son expérience ? Une vraie vie humaine ? Elle eut des nausées alors que ces pensées l'envahirent, elle espérait encore mal comprendre ou bien que le scientifique s'était trompé dans ses paroles. Hélas, il allait vite mettre fin à ses doutes.

— Voyez-vous, le magus accumulé dans les magulithes a besoin d'un...noyau si l'on peut dire, pour être drainé puis concentré sous une nouvelle forme. La vie appelle la vie comme on dit, ricana Cidolfus. De ce fait, l'essence humaine permet d'extraire le magus des magulithes. Ensuite, il se concentre dans le cœur de son porteur, il cristallise selon un agencement particulier qui permet d'obtenir cette forme décaédrique si parfaite. L'opération finale est la "consommation" de la vie humaine, qui va déterminer si le cristal sera bon ou non. Dans l'exemple que nous avons ici, le cristal est brun, donc il est inutilisable. Il faut que le cristal ait une couleur bleue pour être utilisable. Je ne sais pas encore quel paramètre me permettrait d'obtenir un cristal bleu à 100%, mais je cherche à y remédier bien entendu.

Il tendit le cristal sable dans la direction des jeunes femmes face à lui et les laissa examiner l'objet. Il était fier de sa création, mais il savait également que le taux de réussite de fabrication d'un cristal viable était trop faible encore pour que ce soit réellement une victoire pour lui. Le scientifique n'allait donc pas baisser les bras et poursuivait ses recherches afin de créer les cristaux artificiels les plus puissants possibles.

— Ma chère Dafladienne, vous serez mon prochain sujet d'expérience, lança-t-il en fixant Erel droit dans les yeux.

Il n'en fallut pas plus à Angélique pour comprendre où voulait en venir le fou qui se tenait devant elles. La rouquine saisit son amie par le bras et la tira hors du Labyrinthus espérant échapper à la menace que représentait le scientifique.

Cidolfus laissa son cobaye s'en aller car il savait que de toute façon elle n'irait nulle part. Elle était coincée dans le château et il pouvait disposer d'elle comme il le souhaitait tant que le juge master n'était pas là. Il sourit à cette idée, le magistrat ne serait, lui aussi, plus un problème pour lui si tout se déroulait comme il l'avait prévu. Il observa les soubrettes décamper, mais il cria de toutes ses forces pour lancer un avertissement à la Dafladienne, où qu'elle aille, elle serait son cobaye.

Désormais seul dans le Labyrinthus, Cidolfus Continius Arch jeta la pierre et la laissa rouler sur le sol, réhaussa ses lunettes et se remit à se faire la conversation tout seul. Enfin, presque seul, une ombre planait au-dessus de sa silhouette dont deux grands yeux oranges scintillaient comme des étoiles dans le ciel.

Le cristal aubeWhere stories live. Discover now