C7.4 Adieux

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Lysandre obtint les registres de vol assez facilement. Il coupla ses connaissances sur la livraison des cristaux avec les numéros notés sur l'imposant livre. Un seul code sembla pouvoir correspondre à cette transaction : E7-01293.

Pendant ce temps, les domestiques cherchèrent un pilote parmi eux. Très facile à trouver, et à couvrir étant donné que les seigneurs ne se préoccupaient guère des petites gens. Le domestique-pilote était un rescapé de la bataille de la région de Qrita comme Angélique ; il avait été sauvé par le juge master et travaillait en contrepartie comme servant pour la famille Draxak. C'était un homme comme les autres, son absence ne se ferait que peu remarquer et les autres domestiques prendraient en charge ses tâches. En acceptant la mission, le domestique allait quitter le château et ne pourrait pas en revenir ; il pourrait vivre loin d'Astéa ou de Zhelès, se réfugier à Ordella ou encore rejoindre la rébellion.

Les trois conspirateurs se donnèrent rendez-vous devant l'aérogare du château qui comptait trois hangars de décollage en tout. Erel se faufila discrètement dans les couloirs, se faisant la plus discrète possible afin de retrouver ses compagnons. Elle avait eu le temps de se changer et de déposer la lettre dans les appartements qu'elle avait partagés avec le juge master. Lysandre était déjà présent ; il portait une cape noire en plus de son costume, peut-être pour cacher son visage des gardes et par la même occasion, son identité. Angélique les rejoignit quelques minutes après accompagnée d'un grand homme à la peau noire et aux yeux marrons du nom de Héso. Le pilote, le co-pilote et le numéro d'identification. Un vaisseau était sur place, un simple cargo sans vraiment de signe qui pourrait le distinguer d'un cargo astéen ou aq'terrien. Lysandre s'était débrouillé pour qu'il soit posé là au moment de leur départ ; comment ? Encore un truc dont seul le jeune seigneur avait le secret.

Lysandre saisit Erel par les épaules en faisant attention à son bras en écharpe encore meurtri, il lui souhaita bonne chance et s'éclipsa, ne pouvant pas prolonger les adieux ni prendre le risque d'être vu avec la fugitive. Angélique pleura et prit son amie dans ses bras.

— Ça va me manquer, nos petites discussions à travers le château. Tu étais une très mauvaise servante, mais j'aimais bien parler avec toi, gémit la rouquine en hoquetant.

— Tu vas me manquer aussi, mon amie, ajouta Erel en lui caressant le dos.

Elles avaient travaillé ensemble durant peu de temps, mais elles avaient tissé un lien fort toutes les deux. Erel appréciait l'enthousiasme et l'énergie de sa collègue, et Angélique aimait arracher l'air bougon de sa camarade pour la faire rire. Malgré ce qu'elles avaient pu penser l'une de l'autre au départ, elles avaient fini par s'entendre. Une association improbable qui pourtant permit à Erel de supporter sa funèbre captivité et à Angie, lui redonna espoir, l'espoir qu'un jour le Daflad serait libre. Amdapor, la ville natale de la servante à la crinière flamboyante, était tombée, mais des gens se battaient encore pour la mémoire de ceux qui ont trépassé. La rouquine n'était pas capable de le faire, mais à travers la guerrière, elle rejoignait à sa façon le combat. Cet apport mutuel avait rapproché les deux femmes, mais ce jour-là, les sépara.

Angélique sentit son cœur se serrer dans sa poitrine. Elle savait qu'elle ne reverrait pas son amie, du moins pas avant très longtemps, voire même jamais si elle venait à perdre la vie. Les larmes baignèrent son visage d'albâtre et s'écoulèrent sur l'épaule valide de son amie. C'était leur dernier instant, et elle ne savait pas quoi dire. Son esprit était embrumé par la perte de cette amie qu'elle venait à peine de rencontrer et pourtant qu'elle avait l'impression de connaître depuis toujours.

De son côté, Erel ravala ses larmes. Les adieux n'étaient pas son fort, elle ne savait pas comment apaiser la peine de son amie et la sienne, encore une fois, impuissante. Partir était la meilleure chose à faire et pourtant celle qui lui coûtait le plus émotionnellement parlant.

La guerrière avait revêtu une tenue plus appropriée à son poste de copilote. Elle sortit de la poche intérieure de sa veste sans manches marron un objet rond et métallique.

— Je n'ai pas grand-chose à t'offrir pour te remercier de tout ce que tu as fait pour moi. Alors j'ai pris ça, c'était mon bracelet. Gaven me l'avait offert pour nos deux ans de relations. Le fermoir est cassé, mais je n'ai que ça... je suis désolée, balbutia Erel.

Angélique saisit l'objet, le caressa du bout des doigts et pleura à chaudes larmes avant de traiter son amie d'imbécile et de la remercier.

Le pilote dut mettre un terme à leurs adieux qui s'éternisaient. Ils n'avaient plus le temps, il fallait quitter le château avant d'éveiller des soupçons. Angélique accompagna les deux fugitifs jusqu'au hangar numéro 2, la porte du vaisseau était déjà ouverte, ils n'avaient plus qu'à s'installer dans le cockpit et partir.

Le pilote s'installa en premier et alluma la machine. Erel et Angélique, les mains liées, se jetèrent un dernier regard. Elles n'avaient pas envie de se quitter de cette manière, et dans leur cœur, les deux femmes savaient qu'elles ne se reverraient jamais. Angélique avait le visage rougit par les larmes, mais elle essaya tout de même d'esquisser un sourire. Elle souhaitait que le dernier souvenir qu'elle partagerait avec son amie soit un sourire. Erel lui rendit timidement et passa son bras autour du cou de sa camarade pour la dernière fois avant de lui tourner le dos et de se précipiter vers la rampe d'embarquement du vaisseau. Angie tourna les talons et quitta le hangar en courant, son cœur était trop lourd pour avoir le courage de regarder le vaisseau s'éloigner dans le ciel. La soubrette avait toujours été entourée, mais elle n'avait pas réellement d'amie. Erel était à ses yeux l'une des premières. Une drôle d'amitié qui n'aurait jamais pu être possible en dehors de ce château et qui, pourtant, a éclos dans cet endroit sombre et morbide. Hélas, comme toutes les fleurs, leur amitié a été fauchée par une main humaine et fut donc vouée à faner. Pour la servante, son départ annonçait la fin d'une période, peut-être pas la plus heureuse de sa vie car après tout elle aussi était prisonnière, mais au moins avait-elle eu droit d'avoir un peu de lumière durant les longues journées difficiles.

Angélique avait quitté le hangar, Erel était sur la rampe encore ouverte, le vrombissement du moteur de l'appareil camoufla parfaitement le cri étouffé de la guerrière. Une main devant la bouche, elle se retourna une dernière fois, pensant à tous ceux qu'elle laissait derrière elle. Gaven, Angélique, Lysandre, autant de gens qui l'avaient aidée d'une manière ou d'une autre à supporter sa captivité.

La grande porte du hangar s'ouvrit une nouvelle fois, Erel pensa à son amie, peut-être allait-elle se joindre à eux ? Allait-elle lui faire un signe d'adieu, une dernière marque de leur amitié ?

— Je savais que tu étais une vulgaire fouine et que tu allais nous attirer des ennuis, s'exclama la grande silhouette qui venait d'entrer.

Le cristal aubeWhere stories live. Discover now