- PAUSE - (⚢) L'école des Femmes - T1

12/ Willow

- Regarde !

En plein milieu de nos révisions, Jeanne et Blair se ruent sur leurs téléphones pour regarder une vidéo, le son au minimum. Leila et moi levons la tête vers elle et devant notre air curieux, elles agitent la tête.

- Regardez la vidéo que Maddie que a envoyé sur le groupe.

- Maddie ? Je m'étonne. Je croyais qu'elle n'était pas sur le groupe...

- Elle non, mais Petit Toutou, si. Et je crois qu'elle a pas apprécié cette différence de classement, pouffe de rire Jeanne en regardant la vidéo.

Blair plisse les yeux et semble un peu moins amusée, mais en baissant son téléphone, elle dévoile son sourire, qui donne plus brillance à ses yeux. Leila allume son téléphone et appuie sur la vidéo, dont la miniature promet déjà une atrocité.

Maddie est adossée à la fenêtre des toilettes et entre ses jambes se trouve Martina, sa filleule. Elle est à quatre pattes, genoux et mains plaqués au sol et la personne qui filme, la filme de dos. On peut voir sa tête blonde s'agiter et Maddie tient sa jupe relevée. La caméra s'avance alors timidement, d'une main tremblante, et nous dévoile enfin le visage de Martina. Elle est en train de faire un cunnilingus à sa marraine.

Leila et moi arrêtons la vidéo et retournons nos téléphones en grimaçant. Jeanne ne lève pas les yeux mais Blair nous observe en souriant.

- Vous apprendrez très vite à ne plus être choquée, ici. Vous finirez même par apprécier ce genre de plaisir, croyez-moi.

- Mais vous êtes complètement tordues ?!

- Bah ouais. Et alors ?

- Je vais-

- Tu vas quoi ?! demande sèchement Jeanne en baissant son téléphone de devant ses yeux. Le dire à ta maman ?

Son visage affiche une fierté nouvelle, comme si elle détenait un secret énorme et qu'elle s'apprêtait à le dévoiler. Blair est dans son camp, bien sûr. Elle s'enfonce dans son dossier et croise les bras en penchant la tête sur le côté.

Leila me regarde mais tourne rapidement la tête quand elle lit l'incompréhension sur mon visage. Finalement, elle reste silencieuse et reprend son livre en main pour le feuilleter. De son côté, Jeanne remet en route la vidéo et n'en rate pas une miette.

- Quand elle comprendra qu'on ne la trouve pas laide, mais stupide...

Jeanne semble se délecter de ce qu'elle voit. Elle se mord la lèvre et lance quelques regards vifs à Leila. De son côté, Blair soupire et lève un sourcil en ma direction.

- Bon, t'as fini ?

- Oui...

- Super. Tu me refais l'exercice, maintenant.

Je ne sourcille pas et obéis. Je relis le problème et essaie de connecter toutes mes données pour réussir l'exercice. L'écriture de Blair était très jolie et les phrases ne m'avaient pas paru compliquées, alors je devrais pouvoir corriger mes précédentes erreurs.

***

Leila a déjà entamé un quart du livre. Elle a préféré se réfugier dans la lecture et n'a plus répondu à une seule pique de Jeanne. Elle ne s'est pas laissée déconcentrée, même lorsque Blair nous a montré une photo, prise par Sydney. On y voyait les seins de Bonnie. Leila s'est simplement contentée de crisper ses doigts et griffer la couverture du livre.

Il est dix-huit heures quand nous rangeons nos affaires. Le repas est prévu à dix-neuf heures précises et aucune retardataire n'est acceptée. Cette demi-heure nous laisse donc le temps de retourner à nos dortoirs pour y ranger nos sacs, et regarder un peu le compte de l'école. Les stories sont déjà remplies d'articles concernant Martina et Maddie, et d'annonces pour la première soirée de l'année. Le classement des six premières filles et garçons de chaque classe est à mis en avant et le compte explique que pour les autres élèves, plus bas dans le classement, ne pourront assister à la soirée qu'à travers leurs écrans.

A l'heure du repas, nous nous plaçons en bout de table. Cette fois-ci, pas de table par classe ou par prestige, même si beaucoup se réunissent selon leur classement. Je m'installe avec Leila et Bonnie, mes camarades de dortoir et amies. Je nous sens soudées et même si nous ne sommes pas tout à fait à la suite dans le classement, nous sommes assez respectées pour nous isoler sans problème.

- Vous avez vu la photo de Sydney ? demande Bonnie en commençant à sangloter.

- Tout le monde l'a vue, répond Leila.

La métisse soupire et plante sa fourchette dans sa viande pour commencer à manger goulument.

Effectivement, même si nous avons un groupe privé, ce genre de photo et de vidéo circule très vite. Les plus populaires les montrent aux moins populaires et ça finit par faire le tour de l'école, voire au-delà. Six par classe, quatre classes, deux écoles. Nous sommes quarante-huit sur le groupe. Les garçons, tout comme les deuxièmes et troisièmes années, peuvent participer à la conversation et s'envoyer des atrocités. Pour le moment, ce sont surtout des messages haineux envers d'autres camarades, des propositions de rapport sexuel, et des gifs explicites. La vidéo de Maddie et la photo de Sydney sont les premiers clichés réels. Et d'après Blair, ce n'est que le début.

Nous apprenons via cette conversation que c'est Ugly Betty qui a été chargée de filmer à partir du téléphone de Martina, la seule à pouvoir accéder au groupe. Maddie a voulu jeter sa frustration sur sa filleule parce qu'elle a réussi à se classer à la cinquième place et elle en a profité pour lui voler un peu de prestige. Mais les élèves populaires sont unanimes : c'est un acte désespéré, qui donne plus de valeur à Martina et en retire encore plus à Maddie. Tous les garçons veulent coucher avec elle pour l'humilier.

- Vendredi soir, c'est la première soirée de l'année, déclare Blair en nous rejoignant à table, accompagnée de Jeanne et Sydney, ses suivantes. Tâchez de vous habiller correctement.

- Vendredi ?

Bonnie essuie son nez.

- Mes parents viennent me chercher après les cours...

- Les miens aussi, je déclare pour la soutenir.

Les trois Terminales pouffent de rire.

- Certainement pas ! Si vous ne venez pas, vous perdez votre prestige, et on sera obligées d'inviter tâche de merde et poil de carotte !

- Je passe le week-end avec mes parents, je ne peux vraiment pas..., se plains Bonnie.

Blair me jette un regard accusateur, mais je prends les devants.

- C'est d'accord. J'appellerai mon père pour le prévenir. Il ne devrait pas s'opposer.

- Super ! s'exclame Blair, soulagée.

Sydney fusille Bonnie du regard.

- Trouve une solution. Dis-leur que tu veux t'acclimater ou que tu veux rester avec tes amies, j'en sais rien. Mais il est hors de question que tu rates cette soirée. J'ai prévu trop de choses avec toi...

Bonnie déglutit et baisse la tête sur son assiette en silence. Jeanne donne alors un coup de pied à Leila sous la table, qui la fait sursauter, lâcher sa boulette de riz et relever la tête vers sa marraine.

- Tu viendras, toi. Pas vrai ?

- De toute façon, moi je ne rentre pas le week-end. Et je n'ai pas envie que "Jeanne aux doigts de fée" me démontre encore la force de ses gifles.

- Et bah voilà ! Tu vois, quand tu veux ? Tu peux être docile...

Leila n'émet aucune résistance. Elle a l'air fatiguée et lassée de l'attitude de sa marraine, qui se montre toujours aussi hautaine et violente. Je ressens comme un pincement au cœur en voyant mon amie d'ordinaire si active, s'écraser devant une fille à peine plus âgée que nous, simplement parce qu'elle se sert de son pouvoir pour la soumettre. J'ai l'impression de voir ma mère, et je me sens tout à coup coupable de privilégier une soirée à sa santé mentale. Bien sûr, mon père sera ravi que je reste à l'école pour le week-end, mais ma mère sera encore seule avec lui. Il pourrait arriver n'importe quoi en quelques jours, et je vais devoir supporter quatre ans d'absence.