Entre Les Lignes

~46~

Stéphane

Tous les jours, nous grandissons. Tant que la faucheuse ne nous chope pas ou que notre cerveau ne devient pas disfonctionnel, nous évoluons. Dès fois, nous faisons des pas de tortues et d'autres fois nous sommes obligés d'aller au rythme de Flash. Je crois bien que c'est qui m'arrive en ce moment.

Le compte Instagram queer que je gère avec mon petit ami fait parfois des interviews. Une fois nous avons parlé à un homme atteint d'une maladie incurable rare. Il nous a dit qu'il se sentait beaucoup plus en paix depuis qu'il connait contre quoi il se bats et comment ça lui est arrivé. Je n'arrivais pas à le comprendre. Enfin, comment peut-on se sentir calme lorsqu'on découvre l'immensité de la peine qui s'abat sur nous? C'est ce que je pensais.

Maintenant, je le comprends. Pas parce que j'ai trouvé un bon site où l'on explique ce sentiment mais parce que c'est ce qu'il m'arrive. Depuis que Harvey m'a expliqué l'abracadabrante histoire de comment nous sommes tombés ici, je me sens un peu plus calme. Le champ infini de possibilité qui se dressait dans ma tête se ferme pour laisser place à une seule éventualité. Celle que je suis simplement fou perdure mais je n'ai pas envie de l'écouter. Je préfère encore croire au paranormal qu'envisager le fait que je puisse être fou. Après tout, quel fou sait qu'il est fou?

C'est avec cette pensée que je termine de me préparer pour la Journée. Je vérifie une dernière fois que tout va bien dans le miroir et je constate que oui tout va bien. Même ce visage qui n'est pas complètement le mien ne me dérange plus. Tout est parfait.

Je laisse donc la chambre de Gary et sort dans le couloir. Je vois un petit groupe des psychopathes parler entre eux donc je les rejoins pour cinq minutes. Pas que je sois spécialement intéressé par leur commérages mais c'était dans les habitudes de celui dont j'occupe le corps. Une fois que je le peux, je laisse le petit attroupement qui comme à leurs habitudes parlait des injustices dans le monde.

Je marche avec mon visage fermé en direction du bureau de celui qui s'appelle Rolland. Je ne me perds pas car je connais absolument toutes les personnes qui vivent ici. Ma deuxième nuit ici, j'ai utilisé la tablette de Gary pour étudier les dossiers de tous les membres de la justice présent ici pour ne pas commettre d'erreur. Penser à comment je pleurais accroupi sur ce lit me donne une grosse boule dans la gorge. Il y a des douleurs qui nous font mal simplement en pensant à quel point elles étaient douloureuses. Celle là en fait définitivement partie.

J'arrive rapidement devant le bureau de Rolland et Leïla. Hier lorsque Harvey m'a parlé de comment elle s'est ôtée la vie, j'ai ressenti un drôle de frisson. Cette secte a vraiment un grand pouvoir sur ses membres. Amanda Polar peut être fière de ce qu'elle a accomplie. Elle ne pouvait pas rêver mieux.

Une fois la porte ouverte, je vois Rolland et Harvey - dont son nouveau physique me laisse toujours confus - assis dos contre dos. Rolland parle avec un gros sourire et Harvey lui semble juste fatigué. Ses yeux sont rouges comme pas possible. J'aimerais dire que je m'en fiche de lui mais je ressens une petite vague d'inquiétude envahir mon cœur.

- Oh, Gary! Qu'est-ce que tu viens faire par ici? Ça fait un moment que je ne t'ai pas vu, me salut Rolland avec son grand sourire habituel.

- J'ai besoin de parler à Har- Henry au sujet de quelque chose d'important, je lui réponds sans prendre la peine de montrer de l'enthousiasme. Tu viens, Henry.

Il me répond d'un geste positif de la tête puis il dit à son compagne qu'il revient bientôt. Sans plus attendre, il sort de la pièce avec moi. Il me salut doucement puis nous nous dirigeons vers mon bureau. La forme labyrinthique de cet endroit fait complètement de métal nous fait perdre pas mal de temps. Amanda Polar m'a une fois dit que l'architecte de cet endroit n'a pas été choisi au hasard. Elle est sensée représenté la justice ; pour la trouver il faut faire beaucoup de sacrifice et le chemin est souvent long et labyrinthique.