Chapitre 9

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Le mot que j'ai écrit, destiné à l'adresse de mes parents, s'est retrouvé dans la poubelle. Comme ces publicités, vouées à devenir ordures, enfouies tout au fond de la corbeille, sans même avoir pu libérer son potentiel.

Je suis presque sûre que ma mère n'a pas lu l'entièreté de la lettre.

Qu'est-ce que j'ai bien pu écrire pour l'énerver à ce point ? Peut-être n'aime-t-elle pas le reste de la famille, ce qui expliquerait le silence à mon égard ?

Enfouissant ma frustration tout au fond de moi, je m'évertue à comprendre son comportement.

Un parent qui aimerait de tout son coeur son enfant ne l'empêcherait quand même pas de voir le reste de sa famille, même s' il est en froid avec, si ?

Je suis maintenant dans ma chambre, et je m'entraîne, comme tous les soirs depuis que je suis ici à me déplacer sur mes deux jambes.

Pour le moment, même si je suis tombée à plusieurs reprises, grâce à mes mains appuyées contre le mur, je parviens à faire quelques petits pas.

Je sais que c'est le fait que les muscles de mes jambes soient trop peu développés qui m'empêche d'aller où je veux, à ma guise.

Il faudrait que je prenne un rendez-vous à l'hôpital, ou bien je serais éternellement coincée dans ce fauteuil roulant.

Mais comment savoir où j'en suis, si je n'ai aucun contact avec l'hôpital ?

Je n'ai aucune idée d'où se trouve la boîte aux lettres (où j'aurais éventuellement reçu un courrier provenant du centre) et je ne me vois pas le demander à mes parents.

Rien qu'à y voir la réaction de ma mère. Son regard de tout à l'heure me donne à nouveau des frissons.

Depuis le jour où je suis revenue, je n'ai pas revu mon père. J'imagine qu'il est au travail, et qu'il revient tard le soir.

Je suis debout, appuyée contre le mur, quand mon père ouvre la porte de ma chambre.

✧ ✧ ✧

Notre relation se résume par un échange de feuilles où sont griffonnés des mots. Formulé de cette façon, il est vrai que cela donne une impression douteuse.

Mais bon. Dans la vie, quand on est sourd, on est obligé de s'adapter.

J'espère que j'arriverai bientôt à lire sur les lèvres, ou même discuter avec les autres "normalement".

Lorsque j'ai posé la question à ma mère, tout à l'heure, une douleur s'est développée dans ma gorge. Une sensation amère de brûlure froide, comme si m'avait fait boire un liquide brûlant.

"Excuse-nous pour notre comportement, mais pour le moment, nous ne sommes pas encore prêts à agir comme les autres parents. Il faut que tu comprennes que ta perte nous a fortement attristé, et depuis, nous ne cessons de vivre toutes sortes d'épreuves épuisantes.

Mais je te promets qu'un jour, nous serons prêts. Prêts à te montrer tout l'amour que nous te portons, ma petite Eléonore.

On t'aime.

Maman et Papa.

PS : tu peux aller voir ta grand-mère et tous tes cousins, si tu veux. :)"

Je ne peux m'empêcher de sourire en lisant pour la quatrième fois les mots que m'ont adressés mes parents.

Peu importe ce qu'ils ont fait ou pas, je sais qu'ils m'aiment, et moi de même. Comment j'ai bien pu penser que ce n'était pas le cas ?

Je compte l'argent que mes parents m'ont si gentiment donné. J'ai en tout 43€. J'imagine que ça suffira, pour un billet de train.

✧ ✧ ✧

Je commence à fortement m'inquiéter.

Sous l'arrêt de bus où je me trouve, assise sur mon fauteuil roulant, plusieurs personnes me regardent de façon méprisante. Comme s'ils me pensaient coupable d'un trouble que je n'avais aucunement commis.

Est-ce ma tenue, le problème ?

J'ai rapidement enfilé un jean confortable, une veste grise que j'ai refermée, et des chaussures blanches montantes. Mes cheveux bruns sont attachés en chignon réalisé en quelques secondes, et le sac que je tiens sur les genoux est solidement zippé.

Alors, qu'est-ce qui cloche ?

J'aperçois le bus arriver, et l'évidence me frappe.

Comment mon fauteuil va-t-il pouvoir rentrer à l'intérieur ?

✧ ✧ ✧

Me voilà assise sur un siège de bus, que m'a gentiment légué un jeune adolescent, à regarder au loin mon fauteuil qui s'éloigne.

Je n'ai pas pu le faire rentrer dans le véhicule, malgré les efforts du chauffeur pour y réussir.

Maintenant, comment vais-je faire pour me déplacer ?

J'imagine bien qu'à la gare, aucun fauteuil roulant ne sera en libre service. Et puis, s'il y en avait un, par le plus grand des hasards, il serait sûrement payant.

Et l'argent que j'ai est destiné à payer le billet de train.

Pas autre chose.

Je regarde par la fenêtre, pour me changer les idées.

Dehors, même si un faible rayon de soleil éclaire le visage des passants, l'air semble humide. Je peux deviner qu'il a récemment plu.

Le paysage défile. Le bus passe de petites maisons de quartier aux immeubles de centre-ville. Je découvre d'une nouvelle façon ce lieu, où j'ai grandi.

J'ai de la difficulté à imaginer tous ces gens dehors, ayant chacun une vie différente, propre à eux-même.

Cette fillette là-bas, qui tient la main de son père, elle vient peut-être d'avoir un petit frère.

Cet homme là-bas, seul, il vient peut-être d'avoir son travail de rêve. Peut-être même qu'il va devenir riche.

Et cette vieille femme là-bas, munie d'une canne, elle espère peut-être voir pour une dernière fois sa famille.

Mais peut-être que ce que j'imagine est bien loin de la réalité.

Peut-être que la fillette est peut-être en train de se faire enlever.

L'homme vient d'être mis en chômage.

Et la vieille dame est en train de s'épuiser, d'épuiser son corps, qui va peut-être bientôt lui jouer un mauvais tour.

L'arrêt cardiaque.

Voyez-vous comment les choses peuvent mal tourner, même si, en apparence, tout à l'air parfaitement normal ?

Même si, en apparence, tout semble banal ?

Le bus s'arrête, et je sens un enfant poser sa main sur la mienne.

Je me retourne, et celui-ci a déjà filé. J'aperçois seulement sa petite tête brune, avant que celle-ci ne sorte de mon champ de vision.

Découvrant que l'arrêt où le transport en commun est celui où je dois descendre, je me lève à mon tour.

Le vertige qui s'empare de moi manque de me faire chuter, mais mon corps a, par miracle, un réflexe.

Ma main s'accroche à la barre, m'empêchant ainsi de tomber par terre.

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