silencieux.

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J'appartiens aux silencieux. Les non bavards, les discrets, les exilés. J'ai la pensée torrent et le discours avare. J'avale les mots. Quand ils sortent, ils sont souvent sur une page. Quand ils ne sortent pas, ils construisent des pays, refont le monde, réinventent le passé. Ma bouche me nourrit moi-même plutôt que les autres. De nourriture, d'eau ou de baisers. La logorrhée est d'abord gestuelle. Le discours est d'abord intérieur. Les silencieux sont nombreux, à se terrer dans les recoins de leur esprit. Mais on ne les entend pas. C'est difficile d'attirer l'attention. C'est difficile de se faire une place quand on ne pèse que trois mots par jour. On se demande souvent s'il faut parler, même si on n'est pas fait pour ça. S'il faut se forcer. Si se taire n'est pas choisir la facilité. Si refuser d'ouvrir la bouche n'est pas risquer d'être catégorisé de peureux, lâche, paresseux, sans-effort. Alors on essaie. On prend une grosse voix, on introduit un rire par le larynx, on parle du temps qu'il fait, on copie des répliques toutes faites. On évoque des choses banales, on reste en surface. En surface. Parce que ce n'est pas notre manière de laisser les choses nous pénétrer. On a eu du mal à le concevoir ça. On a essayé, des années durant, avec des personnes différentes. Ça n'a jamais marché. On s'est trouvé bizarre. Marginal. En dehors. Mais on a fini par comprendre. Comprendre que le silence est aussi une façon de communiquer, même si elle est plus difficile à entendre et plus lente à prendre racine. Et depuis, on se tait.

Des mots pour mes maux.Where stories live. Discover now