Chapitre 1. Dura lex, sed lex

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CHAPITRE 1.

DURA LEX, SED LEX.

Haziel n'en finissait pas d'observer la silhouette assise sur le banc de pierre. Le soleil perçait le feuillage roux, effleurait les tombes écroulées du minuscule cimetière égaré dans la ville. Les rayons jouaient aussi avec les cheveux châtain du garçon assis, pour leur donner des reflets soyeux, et ciselaient ses beaux traits. Ses yeux verts prenaient parfois une teinte mordorée.

Haziel aimait ces moments où le monde des hommes était transfiguré au point de faire songer à son propre monde. Ces instants étaient d'autant plus précieux qu'ils étaient éphémères, uniques et fragiles. Le soleil continuerait sa course, et l'ombre envahirait bientôt le petit espace où le garçon s'était installé.

Pourquoi s'était-il réfugié là ? Il ne recherchait ni l'inspiration, ni la réflexion, ni le calme. Et c'était la raison pour laquelle Haziel était présent. Il avait voulu voir de lui-même l'âme du garçon. Elle était recouverte par un grand pan d'obscurité, une tache sombre qui ne cessait de s'agrandir, et qui s'étalerait bientôt au point de tout recouvrir. Ses sentiments étaient abîmés, au point de ressembler à un terrain dévasté, creusé par de profondes ornières, dénudé et privé de verdure. C'était un champ de bataille, évidé et martyrisé.

Haziel eut mal, parce qu'il avait fait sienne la douleur du garçon, pour mieux la comprendre. Il soupira. Ses ailes bruissaient doucement, mais aucun humain ne les verrait, ou les entendrait, pas plus qu'on l'apercevrait. Un ange de la première sphère, comme lui, mais du rang supérieur, approchait. Haziel sut que c'était Elémiah avant même que le Séraphin se pose près de lui.

Alors, voilà donc l'objet de ta mission ? demanda Elémiah, d'une voix aussi pure qu'harmonieuse.

Oui, c'est lui, acquiesça Haziel.

Je voulais le voir aussi.

Ce ne sera pas simple, fit remarquer Haziel, sans quitter le garçon humain des yeux.

Ça ne l'est jamais, constata Elémiah.

Non. Mais la situation choisie par Vehuiah ne me convient pas.

Tu n'as pas le choix, dit Elémiah avec un ton posé et très doux. Tu le sais bien.

Oui. Cependant, c'est bien cruel, pour lui, et pour moi, dans l'enveloppe que j'aurai revêtue.

C'est ainsi. Judas a dû se résoudre à trahir Jésus, pour que celui-ci s'accomplisse et devienne le Christ.

Haziel continua d'observer le garçon, et ce fut comme s'il ressentait plus profondément la souffrance qui émanait de l'âme du jeune homme.

Pourquoi lui ? Pourquoi sauver celui-là ? s'enquit-il enfin.

Il deviendra quelqu'un d'important. Du moins, si ses sentiments survivent au naufrage. Et c'est ton rôle de l'aider à surnager, puis de lui apprendre à aimer, pour qu'un jour, il en aide des milliers d'autres. Voilà pourquoi sa seule vie est précieuse.

Elémiah posa sa longue main fine sur l'épaule du Chérubin.

Tu y arriveras, affirma-t-il. Tes capacités d'amour sont infinies.

Oui, dit Haziel, avec obédience. Je ferai tout pour qu'il devienne ce qu'il est appelé à être.

Lezalel t'aidera, elle saura comment t'épauler. Tu ne seras pas seul pour cette mission.

Oui, répéta Haziel, en détachant son regard du jeune humain, avec difficulté.

Les ombres qui s'allongeaient sur le petit carré de pelouse, et sur les tombes effritées, rejoignaient celles qui demeuraient à l'intérieur du garçon. Il était toujours assis, et était encore plus triste. Haziel le ressentit un peu trop vivement, et s'efforça de chasser son empathie, le temps de reprendre son souffle.

Il est temps que j'aille revêtir mon enveloppe humaine, dit-il.

Et il est écrit que la rencontre se produira inévitablement dans les mois à venir. Bonne chance à toi, conclut Elémiah, en s'envolant le premier.

Haziel quitta la terre après un dernier regard vers la silhouette immobile et abattue, grignotée par la mélancolie et l'amertume.




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