Chapitre 3. Décision.

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CHAPITRE 3.

DÉCISION.

Haziel avait détesté son corps, son enveloppe humaine, dès que la maladie s'était déclarée. Puis il avait supporté l'épreuve, la souffrance, parce qu'il savait que c'était son rôle, comme le lui avait rappelé Elémiah. Il avait supporté ce qui lui arrivait parce qu'il savait que la fin n'en serait pas une, sauf pour le corps. Mais il n'avait pas prévu ce qu'il vivrait avec ce corps, et avec son âme emprisonnée dedans. L'humain apprit beaucoup en peu de temps, et lui aussi. Haziel sut ce qu'était la tristesse et le manque, qu'il n'était pas sensé connaître de cette façon. Un ange ne devait pas éprouver d'amour exclusif, pour un seul être. Un ange ne devait pas être égoïste. C'était impossible. Et pourtant. C'était arrivé.

Mes doigts courent, volent sur les touches du piano, et je sens que mon jeu est différent. Mais c'est comme pour le regard gris d'Armel, je saurais pas expliquer sa particularité. D'habitude, je joue et je pense à autre chose. Ou à rien. Là, je joue, et ça fait naître des images. Il y a évidemment ses yeux gris. Je vois aussi le petit cimetière derrière mon lycée, ce vieil endroit où j'aime m'isoler, parce que justement, là bas, j'arrive à pas penser aux trucs qui fâchent. Les tombes, le banc où je m'assois deviennent particulièrement précieux. Je vois des plumes blanches, de grandes ailes, qui passent vite. C'est doux, soyeux, et fort, aussi.

Je m'arrête. Le morceau est terminé, l'heure de cours aussi. Je me relève. Clara, mon professeur, m'observe. Elle me regarde différemment, tiens.

— Tu as réussi à y mettre ton âme, ou tu as appris à faire semblant de la mettre dans ton jeu ? elle demande.

Je la fixe, je sais pas quoi dire. Mes épaules se haussent toutes seules. J'ai du mal à analyser tout ce qui m'arrive. J'aime ce que je ressens, c'est déjà bien. Jusque là, je savais pas trop pourquoi je continuais le piano, et mon professeur non plus. Je jouais bien, ça me vidait la tête, point.

— Si tu continuais de jouer comme ça, tu pourrais envisager... quelque chose.

— Quoi ? je rétorque. Être artiste ne nourrit pas, je rétorque. C'est ce que dit mon père.

— Tu es d'accord avec ton père, toi maintenant ? Tu dis ça parce que tu n'y crois pas. J'ai envie de voir si tu vas continuer de jouer comme ça, moi.

J'entends des voix dans le couloir. L'élève suivante est arrivée, je reconnais la voix de la gamine.

— À la semaine prochaine, je dis, en prenant mon manteau.

— Pense à ce que je t'ai dit, Lucas, et entraîne-toi bien.

— Ouais, je vais essayer.

Je sors rapidement, je resserre mon écharpe, pour échapper à ce foutu froid coupant. Il reste, ici et là, de petits paquets de neige. Je me dirige droit vers l'hôpital. Mon père ira voir Julie en fin de journée. Je remarque que j'ai plus envie de l'appeler garce, saleté ou greluche. Ça sert à rien. Ça me sert à rien. Mais c'est pas pour ça que je l'apprécierai un jour. C'est impossible. Elle est trop mauvaise, elle m'a dit trop d'horreurs.

Je marche, et je me dis que j'en reviens pas des changements que je ressens en moi. Tout ça, c'est lié à Armel. Il me rend différent, il me fait évoluer. Et dire que je l'ai vu pour la première fois y'a si peu de temps.

Le couloir du deuxième étage de l'aile E est désert. Les murs sont tout bleus. J'avance, j'ai envie, mais j'ai quand même la trouille de me trouver là. Je veux voir Armel, mais je peux pas oublier ce qu'il a. J'ai hâte et j'ai peur.

Forever LoveWhere stories live. Discover now