Chapitre 2. La rencontre.

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CHAPITRE 2.

LA RENCONTRE.

Il faut que je sorte de là, j'étouffe. La chambre d'hôpital est une véritable étuve. Et j'en peux plus de voir mon père penché sur ce truc fripé comme s'il s'agissait de la huitième merveille du monde. Remarquez, à ses yeux et à ceux de ma belle-mère, ça l'est sûrement. Leur œuvre. Elle lui sourit, et mon envie de me barrer devient carrément une urgence. Vous trouvez peut-être que je ne suis qu'un petit con jaloux. Mais mon père ne s'est jamais penché vers moi avec ces yeux émerveillés, je vous le garantis. Quant à sa greluche, qui n'a que cinq ans de plus que moi, elle se comporte comme une garce tyrannique. Elle aimerait bien que je dégage de la maison, mais je n'ai que dix-sept ans, faut bien qu'elle fasse avec.

Alors je les laisse avec leur bébé, et je gagne la porte. J'ouvre, je referme, sans entendre : Lucas, où tu vas encore ? Ou, deuxième option : Lucas, faut toujours que tu fasses la gueule. Non, rien. C'est toujours ça de gagné.

Le couloir est large, il y fait plus frais, alors je me sens vite moins oppressé. Mes baskets font un drôle de bruit sur le lino gris, comme si elles collaient. Je débouche sur un espace encore plus grand, avec de petites tables couvertes de vieux magazines, des fauteuils grenat, et les ascenseurs. Mon ticket vers la liberté. Mais la neige qui s'est remise à tomber, et que j'aperçois par les larges baies vitrées, m'en dissuade vite.

Alors je tourne à droite, et je vois un jeune mec, en pyjama bleu, avec un bonnet vissé sur la tête, qui regarde à travers une vitre. Il a l'air hyper captivé par ce qui se passe dans la pièce. J'approche, pour voir. Oh non. Des centaines de petits biberons en verre sont alignés sur une table. À côté, il y a un panier avec des milliers de tétines sous emballage. L'infirmière en a apporté tout à l'heure à la garce, afin qu'elle montre à mon père comment elle s'y prend pour nourrir le truc fripé. Dans la pièce, je vois une autre infirmière, qui parle avec une femme en robe de chambre, elle aussi détentrice d'un trésor fripé, qu'elle berce.

Je reporte mon attention sur le mec. Pourquoi il a l'air aussi intéressé ? C'est dingue, il doit avoir mon âge. Il a posé une main sur la vitre, et je suis frappé par sa blancheur et sa fragilité. Elle est presque transparente. Du coup, je me dis qu'il doit pas porter un bonnet pour le look. Il est malade. Qu'est-ce qu'il fout debout ? À cet étage ? Je pourrais faire demi-tour, mais non, faut que je la ramène.

— C'est le tien, c'est ton môme ? je lance, pour rigoler.

Le garçon se retourne vers moi, avec un air très sérieux. Oui, il a mon âge. Je m'aperçois qu'il a un visage extra, avec des yeux tout gris, entourés de cils noirs très longs. Je trouve que ça lui donne un beau regard, ce contraste.

— Non, il répond juste, sans rigoler, mais sans dire non plus que ma remarque était nulle, ce que j'apprécie.

Je ne peux pas m'empêcher de le fixer, j'ai un drôle de truc qui s'agite, là, dans mon ventre. Il est vraiment beau, le mec. Mais j'ai aussi envie de fuir, parce qu'il est devenu évident qu'il porte un bonnet pour une raison précise. J'y peux rien, la maladie, ça me fiche la trouille, et je suis pas le seul sur terre. Je me demande s'il va mourir, et là je fais le lien avec ce qu'il observait avec autant d'intensité. Sa vie qui s'en va, d'autres vies qui arrivent. J'ai un drôle de goût dans la bouche, là. Mais soudain, je veux plus partir, je veux rester où je suis, avec lui. J'ai envie de discuter. J'ai pas du tout envie de m'éloigner. Il ouvre le bal des questions.

— Qu'est-ce que tu fais ici ? il demande, l'air intéressé.

— Ma belle-mère vient d'avoir un bébé, j'explique. Je la déteste. Ma mère est morte il y a deux ans, et elle l'a un peu trop vite remplacée. En plus, c'est une saleté.

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