Chapitre 4. Epicurisme.

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CHAPITRE 4.

ÉPICURISME.

Quand je suis sorti de l'hôpital, je suis tombé sur mon père. Il m'a ramené en voiture sans rien me demander, sans rien dire. Je suis en train de finir mon petit-déjeuner, la tête pleine d'Armel, quand il déboule dans la cuisine, et qu'il lance sa petite bombe.

— Qu'est-ce que tu faisais à l'hôpital, hier ? C'était certainement pas pour voir Julie.

— C'est sûr, je lâche. Non, je vois quelqu'un.

— Il est étudiant en médecine ?

Il ? J'ai bien entendu il ? Depuis combien de temps il sait, pour mon orientation sexuelle ? Il en a jamais parlé, jamais. Et en plus, il se souvient apparemment même pas d'Armel, alors qu'il m'a vu parler avec. C'est tout mon père, ça. Remarquez, ça aurait pu être pire. Il aurait pu péter une durite.

— Non, je réponds. Il est plus jeune que ça. Il a mon âge. C'est un patient.

Je fais quoi ensuite ? Je balance ma bombe, moi aussi ? Armel est pas à l'hôpital pour une appendicectomie. Ouais, je vais balancer. Comme lui il vient de le faire.

— Il a un cancer, j'ajoute.

— C'est pas trop grave ? il demande.

La bonne blague. Non, ton fils, il sortirait qu'avec un mec qui va bien s'en sortir, pour pas chambouler sa vie, ta vie. Sauf qu'on choisit pas l'amour. La vie. Voilà ce que j'ai envie de lui sortir.

— C'est grave comme maman, je réponds.

Il pince les lèvres. Il prend une tasse dans le placard ultra moderne, la pose sur le plan de travail immaculé, et va s'occuper de la machine à café. Je reste. Je veux plus fuir. J'attends la suite.

— Tu étais vraiment obligé de compliquer encore plus les choses ? il me dit soudain.

Et voilà. C'est typique de sa façon de penser. Il y a un univers bien ordonné. Dès qu'on en sort, c'est de notre faute, on fait exprès de compliquer les choses. Maman, elle a dû faire exprès d'être malade. J'ai fait exprès d'être homo (comme ci c'était pas normal de l'être, quoi !). Et Armel, il fait exprès, lui aussi, de pas aller bien.

— Compliquer les choses ? je répète, pour qu'il me précise bien le truc, que ça vienne de sa bouche.

— Tu n'as pas choisi la solution de facilité en te tournant vers les garçons, il précise, avec une voix exagérément patiente, qui a aussitôt le don de me mettre en rogne. Pourquoi en rajouter, Lucas ?

— J'ai pas choisi, je dis calmement, et je pensais pas que je réussirais à rester stoïque, vu la bêtise monumentale de ses propos.

— Tu aurais pu choisir, il insiste. De ne pas suivre tes instincts.

— Et toi, t'aurais pu choisir de pas ramener Julie à la maison. Et tu l'as fait. T'as rien à dire là-dessus.

Avec Julie, il reconstitue un univers rassurant. Une autre femme, un autre enfant. Moi, ce qui me fait avancer, c'est Armel. Mais j'ai pas envie de l'expliquer à mon père. Il comprendra pas. Alors cette fois, c'est bon, je sors de la pièce. J'attrape mon manteau, ma besace, et je me tire.

En cours, j'arrive même pas à écouter les profs. Les deux réalités se télescopent, alors qu'elles devraient pas se heurter, je voulais pas qu'elles se rencontrent. D'un côté, il y a Armel, qui me fait changer, et de l'autre côté, il y a mon père, qui m'aime pas comme il devrait. Je le sais depuis toujours. Pourquoi ça fait à nouveau si mal ? Est-ce que mes sentiments pour Armel me rendent plus sensibles ? C'est pas bon pour moi, mais c'est comme ça. Pour Armel, je suis prêt à accepter ça aussi.

Forever LoveWhere stories live. Discover now