Prologue

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— Prénom ?

— Ava.

— Nom de famille ?

— Vous le connaissez, non ?

Mon sourire amical ne déride pas d'un pouce cette mégère, aux cheveux gris attachés sévèrement en un chignon rigide, affublée d'une blouse blanche clinique. Ses lèvres aussi fines qu'imperceptibles grimacent.

— Nom de famille ? répète-t-elle d'un ton plus autoritaire.

— Ivanov.

— Âge ?

— Vingt-et-un ans. Puis-je savoir pourquoi je suis là ?

— Votre lieu de naissance.

C'est une blague ? Je soupire.

— Ici même, comme tous ceux de ma génération.

Elle coche des cases avec son stylo noir au fur et à mesure de mes réponses sans lever un seul instant les yeux sur moi. Je coule un regard vers les deux militaires marmoréens derrière l'épaisse porte en verre.

— Maladie génétique ?

— Aucune. Vous pouvez répondre à ma quest...

— Maladie enfantine connue ?

— Aucune. Sinon, je peux...

— Allergies, virus, anomalies du derme interne ou externe apparues récemment ?

Je commence à perdre patience. Surtout que ça n'a jamais été mon fort d'être patiente, justement !

— Hum... Peut-être, maintenant que vous me le dites.

Elle relève le menton. Bonne nouvelle, elle n'est pas faite de métal comme les humanoïdes disparus depuis une quinzaine d'années.

— J'ai une petite tache blanche sur l'ongle de mon majeur. Vérifiez par vous-même, là, sur ma main droite... Un manque de calcium, je dirais.

Ses yeux se rétrécissent pour examiner scrupuleusement mon doigt, puis son regard glisse à nouveau sur sa feuille, le visage complètement fermé.

— Hum, je ne vois rien.

Je lève les yeux au ciel. Cette dame m'exaspère.

— Mon père est au courant que je suis là ?

Là, c'est "le dôme". Il s'agit du centre de recherche biogénétique le plus avancé au monde et le plus grand. Le point névralgique de la population terrestre. Tous les regards sont tournés vers ce lieu stratégique dont dépend l'humanité tout entière. L'humanité... Un très grand mot pour un petit nombre. 161 345 d'hommes et de femmes assidûment comptabilisés chaque jour dont le nombre décroît sur le panneau géant aux chiffres rouges de ce fameux dôme dans lequel j'ai été amenée contre mon gré.

Notre infirmière retire ses lunettes d'un geste agacé.

— Vous avez atteint la majorité. Peut-on continuer ?

— Ça veut dire que non.

— Votre père n'est pas au-dessus des lois, mademoiselle.

Elle me fixe de ses iris bleus quasi vitreux et je ne comprends pas vraiment ce que veut dire dans le contexte présent : « être au-dessus des lois ». Mon père est censé être au-dessus de tout. C'est lui-même qui a signé les lois martiales de juillet 2111. Je le sais, car il les a fièrement faites encadrer sur le haut de l'écran électroluminescent de notre salon. Trois autres signatures accompagnent la sienne, le haut-commissaire des États-Unis d'Amérique, le puissant dictateur sud-africain et le responsable des armées du mouvement asiatique. Après cela, trois autres centres complémentaires au Dôme ont vu le jour sur ces autres continents.

— Votre père sait que vous êtes ici, m'assure-t-elle l'air grave.

Elle remet tranquillement les lunettes sur le bout de son nez. Sa réponse m'inquiète.

— Vous nous certifiez être vierge ? poursuit-elle.

— Dois-je vraiment répondre à cette question ?

J'ai passé toute une batterie d'examens médicaux très approfondis avant d'atterrir devant ce fichu bureau aseptisé, aux meubles en métal. Ils ont tout examiné et quand je dis tout... C'est absolument tout !

— Répondez.

— Oui, je pense.

Elle me jauge par-dessus ses montures écailles. Seconde tentative pour notre cyborg.

— Vous pensez ? me demande-t-elle, le regard appuyé.

Je me penche vers elle, zieute à gauche, puis à droite, tout en vérifiant que personne ne nous entende. Elle s'approche, intriguée. D'une voix basse, je formule sur le ton de la confidence :

— Oui, quand j'étais gamine, je me suis pris le guidon de mon vélo d'appartement en plein dans la cha... Enfin, vous voyez ce que je veux dire, le truc entre les jambes ? Vous devez avoir la même chose, non ?

J'accompagne d'un geste mes paroles.

— Ici..., Bref, j'ai freiné trop brusquement. Putain, ça fait un mal de chien !

Elle se redresse et le haut de ses lèvres produit de petits tremblements rapides. Je souris plus largement. Ah enfin, une réaction humaine !

— Pensez-vous que je plaisante ?

— Tout votre interrogatoire est drôle, madame. Je remplis un formulaire tous les mois qui répond exactement aux questions que vous êtes en train de me poser. Pourquoi suis-je là ?

Elle soupire d'un air agacé.

— Votre test de ce matin s'est révélé positif.

Je me mets à battre nerveusement des paupières.

— Positif ? Impossible !

Jamais... Jamais il ne l'a été, pas une seule fois depuis que je suis en âge de faire ces maudits tests. La probabilité est en dessous de zéro !

— C'est pourtant vrai.

Toute mon assurance fond comme neige au soleil tandis que la panique prend le relai, car je sais précisément ce qu'un test positif signifie. C'est simple, il y a trois options. 1 %, l'expérience marche et tu demeures porteuse jusqu'à un terme inconnu. 33 % des cas, ça marche, mais tu crèves. 66 % c'est un échec et tu reprends ta vie jusqu'au prochain test.

Ma bouche s'ouvre et mon sang quitte mon visage pendant qu'elle cherche stoïquement sur son papier la prochaine question.

— Avez-vous été en contact avec des Sentynels ces neuf derniers mois ?

Les Sentynels... Pas depuis mes treize ans. Pas depuis cette fameuse nuit.

J'avale ma salive avec grande difficulté.

— Non. Je n'en fréquente aucun.

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