Part 13 : Songe

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Je me suis assoupie assise, les genoux repliés contre ma poitrine, la tête sur le côté. J'ai très mal à la nuque, alors je la frotte un instant.

Il a perdu...

Je m'aperçois tout juste que les quelques fenêtres du salon ont été condamnées. La douce lumière de l'aube filtre à travers les planches maladroitement clouées au mur. Ce lieu offre un bien triste repère même à la lueur du matin.

... l'amour de sa vie.

Je scrute la pièce. Personne ne bouge. De calmes respirations me proviennent d'où tout le monde dort encore. Il est hors de question que je reste prisonnière une seconde de plus. Je me lève et j'ai immédiatement le tournis. Je me stabilise en me reposant contre le mur. Je prends mon front dans ma main droite. J'ai une migraine comme si un picidae confondait ma tempe avec l'écorce d'un arbre. Je n'ai dormi que cinq heures. Pas assez pour mon organisme fatigué, mais je dois me forcer, c'est cinq heures de trop à rester emprisonnée ici. Je traverse la pièce à pas de loup jusqu'à la porte. Lentement, j'actionne la poignée du vantail menant dans le petit jardin. Un crissement de rouille... je retiens ma respiration. J'ouvre le battant aux charnières fragiles. Un pas, puis un autre, je suis dehors.

Il a perdu l'amour de sa vie...

Je me vide l'esprit, soupire profondément et referme derrière moi. Les souvenirs sont maintenant enterrés dans le passé et à présent, le but est de courir sans se retourner. Non pas à l'aveugle, mais intelligemment. Je tends l'oreille. J'entends le ruissellement d'un courant d'eau et j'imagine qu'en remontant la rivière, je trouverai ce que je veux. Je n'ai pas de temps à perdre, le soleil déjà m'éblouit.

— Où comptes-tu aller ?

Je sursaute tellement fort que j'ai fait un saut de cabri. Aden approche et s'arrête à trois mètres devant moi. Ses pieds plantés dans le sol comme de solides racines inhumées. Il est intimidant vêtu de sa longue veste noire. Ses épaules se soulèvent en écho avec sa respiration. Il parait trop grand. Ses yeux dissimulés sous sa capuche, je perçois uniquement ses narines qui se gonflent et se dégonflent. Il est furieux.

— Aden, c'est ridicule..., dis-je en un sourire crispé.

Tu es ridicule.

Le regard toujours masqué, il avance vers moi d'un pas sûr. Je reste droite et m'interdis de reculer. Je relève le menton, prête à me rebiffer.

— Je ne veux pas rester ici. Je ne suis sous le joug de personne et encore moins sous le tien. Qu'importe les foutues lois de la nature, elles ne veulent rien dire pour moi.

Sa bouche s'étire en un léger rictus, puis reprend forme. Ses lèvres pincées, ses joues tressautent. La mâchoire plus contractée que jamais, il se place de côté de manière que je voie plus précisément son profil. J'ai du mal à croire qu'il me laisse le champ libre.

— Dégage.

Mes yeux se transforment en deux ronds de flan. Je secoue la tête. Sa voix n'a jamais été aussi basse, aussi froide, aussi meurtrière.

— Je peux partir ? Je ne comprends plus rien...

— Casse-toi ! répète-t-il encore plus dangereusement.

Je tressaille aussi fort que si je l'avais vu lever la main pour me porter un coup. Cependant, je n'arrive pas à bouger. Complétement saisie par toute la colère qui émane de lui, qu'il étouffe passablement sous ses mots. Je reste campée sur mes deux jambes devenues instables. Il baisse légèrement la tête et je ne vois plus que sa bouche à demi ouverte. Je frémis quand il souffle entre ses lèvres :

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