Part 12 : Contre nature

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— Éteignez ce feu, réclame Deneb, me tournant le dos.

Les filles ne tardent pas à lui obéir et la pièce se plonge dans la semi-obscurité avant qu'une d'elles allume quelques bougies qu'elle dépose ici et là.

J'observe Deneb gravir lentement les escaliers tout en tenant dans chaque main une fille. L'air narquois et sourire éclatant, il ne me quitte pas des yeux. Son visage reste le même, diaboliquement angélique. Je plisse les paupières et y mets toute ma volonté, mais que devrais-je voir de plus ? Rien ne change son aspect, même en me forçant à m'ouvrir au pire. Parvenu en haut des escaliers, il éclate de rire.

— Ne sois pas jalouse, divine création. Tu la verras une prochaine fois, raille-t-il avant de disparaître à l'étage.

Les filles, qui sont restées dans le salon, se retournent toutes sur moi. J'ai envie de le tuer. À l'évidence, nous pensions à la même chose : son vrai visage, mais me mettre dans l'embarras l'amuse vraisemblablement.

— Ou jamais, murmuré-je en fusillant les curieuses du regard.

Je fixe la porte devant moi. En quelques secondes, je pourrais être sur elle, l'ouvrir et m'enfoncer dans les bois. Il faut absolument que je m'échappe, mais la nuit est déjà tombée. J'ai besoin de ma liberté. C'est une nécessité. Je ne laisserai plus personne me retenir en cage, ni me dicter mes actes, néanmoins je ne vais pas être stupide ; patienter jusqu'à l'aube est bien plus sûr.

En attendant, il est absolument hors de question que je me rende utile pour quoi que ce soit. Je n'ai pas demandé à être là contrairement à elles. Ces filles qui s'affairent à leurs tâches, pendant que d'autres les aident silencieusement.

Je fais passer les tissus déchirés de ma combinaison sous l'élastique de mon soutien-gorge tout en pestant intérieurement contre Aden. Je le hais. De manière si forte maintenant. Tellement forte que je ne souhaite plus jamais recroiser son chemin. Le penser me lance une pique au cœur que j'essaie tant bien que mal d'ignorer.

Je dois absolument retrouver mes affaires. En partie pour le fil et l'aiguille qui se trouvent dans mon sac. J'ai pu me procurer ces objets en sortant clandestinement avec un garçon de l'atelier de couture, qui à mon grand désespoir, embrassait vraiment très mal. Je regardais toujours le ciel, essayant d'oublier que sa grosse langue écumeuse tournoyait inlassablement à l'intérieur de ma bouche. Bon sang, un garçon peut-il baver autant ? En y repensant, pas besoin de mettre mes deux doigts au fond de la gorge pour avoir envie de vomir.

J'ai tenu deux semaines.

Assez longtemps pour obtenir une bobine noire qui fera l'affaire. Il m'en a également offert une autre au fil blanc plus rare parce qu'il se croyait amoureux. "Amoureux ? En deux semaines !" lui avais-je rigolé au nez. Il était parti en courant, les larmes au bord des yeux.

"Oh, personne ne tombe amoureux en deux semaines !" avais-je crié pendant qu'il pouvait encore m'entendre.

On ne tombe pas amoureux. L'amour n'existe pas. Personne ne veut finir seul, nuance.

— Je peux m'asseoir à côté de toi ? demande Emmy debout devant moi, une petite assiette et un verre dans les mains.

Emmy est quelqu'un que j'apprécie, sa grâce naturelle fait d'elle quelqu'un de doux. Ses sourcils sont fins contrairement aux miens. Sa peau est lisse, son teint porcelaine sans imperfection. Je le lui ai souvent envié même si pour moi le physique ne compte pas vraiment. Cependant, je n'aime pas une chose chez moi ; les éphélides parsemées sur mon nez et sous mes yeux. Mes cheveux d'un brun très foncé accentuent leur présence. Contrairement aux filles ici présentes, je tiens encore à ce qu'ils restent attachés. C'est une habitude depuis petite fille, j'imagine. Je ne parle pas non plus de la tâche que j'ai hérité à ma naissance. Celle bien plus grande et irrégulière qui couvre une partie de ma hanche droite et qui se poursuit en bas de mon dos.

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