2- Vantardises

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Après les cours, je me dépêche de filer à la maison, afin d'arriver avant mes deux belles-soeurs. De toute façon, elles prennent toujours au moins une heure après les classes à flâner avec leurs copines et les mecs. À l'heure actuelle, aucune des deux n'en a un. Elles doivent avoir couché chacune avec tous les garçons du lycée. Je crois qu'elles font un concours ou un truc dans le genre, sinon quoi? La relation la plus longue a été celle d'Idrissa avec ce type, Aaron qu'il s'appelait je crois, et ça a duré cinq mois.
Elles doivent probablement être en train de draguer tout ce qui bouge, souhaitant désespérément être accompagnées au bal. De toute façon, elles n'auront pas de difficulté, ce sont les deux filles les plus populaires du lycée. Je ne comprends pas les gars de se jeter à leurs pieds. Il est certain qu'ils sont seulement attirés par leur physique, étant donné qu'elles n'ont aucune qualité ni cerveau (à mon avis à moi, quoique mon avis s'avère être plutôt juste...).
Pour ma part, du haut de mes dix-sept ans, je n'ai eu aucun petit ami. Jamais. J'ai déjà eu un ou deux rencards, mais ça n'a pas cliqué. Et dès que mon père est décédé, ma cruelle belle-mère m'a strictement interdit de sortir avec quelconque garçon.

Je m'engage dans le pavé qui mène à l'entrée et je pénètre dans notre grande demeure. Je referme la porte et échappe un soupir. Une autre longue soirée qui  m'attend. Estrella—ma marâtre— n'est pas encore rentrée du boulot. Elle dirige une grande entreprise de marketing, celle où travaillait mon père avant. Il en était le fondateur et président. Elle est devenue sa secrétaire. C'est comme ça qu'ils se sont rencontrés. À sa mort, il lui a légué sa fortune et son poste.
Habituellement, elle revient vers 17h30. Il est 16h. Le temps que ses deux abominables filles rentrent, je pourrai faire mes devoirs et ramasser un peu. Je monte à l'étage, à l'endroit que mes belles-soeurs aiment tant appeler "grenier crasseux". Bon, c'est vrai, autrefois, ça en était un, mais je l'ai aménagé et décoré de sorte à le transformer en un coin douillet et chaleureux. Mais ça, elles l'ignorent, elles ne montent jamais. C'est l'endroit où je me sens moi-même, où je suis libre de rêver et de penser ce que je veux. Il s'agit en quelque sorte d'un bouclier, un bouclier puissant qui me protège des ordres de ma marâtre et des remarques hypocrites de mes belles-soeurs. Je m'installe à mon bureau et me met à étudier.
Une heure plus tard, j'entends la porte s'ouvrir et Idrissa et Mandy débarquer en trombe. Je distingue très bien leurs deux voix fort agaçantes au moment où elles demandent presque en choeur:

- Bon, il est où, le souper? J'ai faim! 

- APRIL! 

Je lève les yeux au ciel. Je me lève et vais les rejoindre en bas. Elles sont assises sur le canapé et zappent avec la télécommande, à la recherche d'une télé-réalité faussement dramatique à visionner. J'essaie de passer incognito devant la porte ouverte du salon, mais Mandy me piège la main dans le sac. 

- Hey, tu vas où comme ça? me demande-t-elle en mâchouillant son chewing-gomme. 

Elle plante son regard dans le mien, avant de le poser sur sa parfaite manucure rose. 

- Je... Euhm... J'allais préparer à souper. 

- C'est pas trop tôt! entonne Idrissa, les yeux fixés sur l'écran. 

- Cette fois, essaie de ne pas faire passer la maison au feu! enchaine sa soeur. 

Ma gorge se noue, je ravale ma salive. Je sais qu'elles font référence à la fois où j'ai fait brûler un poulet, il y a quelques mois. Il y a avait de la fumée partout, et j'ai pleuré toute la nuit, non pas parce que j'avais gâché le dîner, mais parce que Estrella m'avait fort grondée, devant les rires méchants de ses filles. Elle m'a grondée plusieurs fois, c'est vrai, et c'était souvent par pure méchanceté, mais cette soirée-là a été la pire. 

Je les entends glousser tandis que je continue mon chemin jusqu'à la cuisine. Je prépare une salade et des pâtes, puis je monte la table. Je pose le dernier couvert au moment où la porte d'entrée s'ouvre à nouveau. Cette fois, c'est Estrella qui rentre. Je prends une grande inspiration, époussette ma jupe, avant d'aller l'accueillir à la porte. 

- Bonjour, dis-je, les yeux rivés sur mes chaussures. 

- Bonjour, April, marmonne-t-elle en continuant de pianoter sur son téléphone portable. 

Sans même un regard, elle me tend son manteau d'une main, retire ses chaussures et se rend directement à la salle à manger. 

Je pose son manteau sur la patère et aligne ses escarpins le long du mur. Je passe par le salon, marmonne un petit "le souper est servi", puis retourne à mes chaudrons. Les deux filles partent dans une course folle jusqu'à la cuisine, telles deux bêtes affamées.
Je sers le repas et m'assieds à table. 

- Hey, m'man, tu savais qu'un prince était arrivé au lycée? demande Idrissa.

- C'est moi qui voulait le lui annoncer! boude Mandy. 

Idrissa lui tire la langue et continue:

- Ouais, et il vient de... De où déjà?

- De la Suisse! énonce fièrement Mandy. 

- Ouais, c'est ça, et il est super cool en plus! 

- Il doit avoir beaucoup d'argent, dit Estrella.

- Ah ouaiiis, chantonnent les deux filles. 

Elles et leur manie de toujours penser au côté financier dans tout...

- Et en plus, il a dit qu'il irait au bal avec moi! déclare Mandy.

- Eh, même pas vrai, il ira avec moi! réplique Idrissa. 

Quelles fillettes! Comme à l'habitude, elles se chicanent pour un rien, et, comme à l'habitude je garde le silence pour tout le repas.
Une fois toutes sorties de table, je ramasse la vaisselle et passe un coup de balai, avant de m'attaquer à la lessive. Je ne croise plus personne pour le reste de la soirée, et je préfère que ça soit ainsi. En insérant les vêtements mouillés dans le sèche-linge, je songe au bal, à Aidan, et je me demande avec qui j'irai. Je ne désire pas forcément y aller avec un garçon, je peux bien m'amuser avec Savannah et Tyler, mais je ne peux m'empêcher de m'imaginer au bal, dans une belle robe, un prince charmant à mon bras.
Je finis ma corvée et monte me coucher. Sans le vouloir, mes rêves portent sur ce prince, ce prince aux si beaux yeux gris.

Reine du BalWhere stories live. Discover now