Pardonne à ma beauté d'exister

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Se regardant dans un miroir, une jeune femme regardait son reflet en se plaignant. Adorable, mignonne et mannequin, elle se plaignait néanmoins d'un défaut pour le moins insignifiant. Ses amies la rassuraient. Mais lorsque leurs yeux se posèrent sur moi, elles se mirent à murmurer.

« Elle est flippante. Ça fait deux ans qu'elle travaille avec nous et pourtant je ne l'ai jamais vu avoir ne serais-je qu'une expression sur le visage. »

Retire-moi cet horrible sourire de ton visage ! Une poupée ne sourit pas !

Fermant les yeux un instant, je me remise à mon travail. Une poupée ne souriait pas. Alors, terminant une tenue pour un mannequin, je continuais mon ouvrage.

Une poupée ne bouge pas ! Une poupée ne travaille !

Arrêtant un instant les gestes précis de couture, mes yeux regardèrent dans le vide alors qu'un souvenir effleurait mes pensées.

A quoi penses-tu donc ? Ne t'ai-je déjà pas appris qu'une poupée ne pense pas ? Voilà, garde ce regard sans vie, tu es bien plus jolie ainsi.

Soudain des bras s'enroulèrent autour de mes épaules alors que j'étais assise, occupée par mon travail. La personne qui m'approchait de trop près était le photographe du shooting du moment. Un photographe de grande renommée. Un photographe que j'avais toujours admiré.

Alors que mon passé m'enfermait, ses photos avaient réussi à me libérer un instant. Elles m'avaient offert l'image d'un espoir éphémère, l'illusion d'une liberté réelle. Elles m'avaient donné le rêve qu'un jour moi aussi je pourrais poser sous les projecteurs de cet artiste.

« Erato, pourquoi ne pas poser pour moi aujourd'hui ? »

Passant une main dans mes longs cheveux blond platine, il se saisissait d'une mèche et y déposa un baisé. Voyant que je ne réagissais pas, continuant ma tâche, il soupira et s'éloigna de moi.

« Pas moyen de t'arracher ce masque de poupée. »

Une poupée...

Lui aussi me voyait ainsi alors ? Comme tout le monde, j'étais une « poupée ». L'homme qui fut mon père me l'avait pourtant répété encore et encore.

Une poupée reste une poupée. Elle ne ressent rien, elle ne désire rien. Elle ne parle pas et ne conteste jamais.

Lorsque l'homme qui se disait être mon créateur me murmurait ces paroles à l'oreille, je ne pouvais qu'acquiescer. Pourtant aujourd'hui, alors que j'en étais débarrassée, ses enseignements perduraient toujours en moi.

J'étais une poupée. Jamais je ne pourrais changer cela.

Des murmures s'élevèrent dans la pièce. De la surprise principalement.

Écarquillant en grand les yeux, je compris leur surprise à tous. Elle était la même que la mienne.

Passant délicatement une main sur mes joues laiteuses, j'y découvris avec horreur une chose que je n'avais encore jamais vu : mes larmes. Une poupée ne pleurait pas.

Recommence encore une seule fois à ressentir ou à exprimer une émotion et je te punirais en conséquence. Une poupée ne ressent rien.

Mon père n'était plus là. Pourtant je devais le faire.

Lâchant les vêtements, je sortis en trombe de la pièce sous les regards étonnés de mes collègues, une paire de ciseaux cachées dans ma poche. Mais alors que j'atteignais le couloir, enfin cachée des autres, une main puissante s'empara violemment de mon poignet, révélant mon arme.

C'était lui. Il était là. L'artiste qui m'avait permis de me sentir vivante. Mais pourquoi était-il là ?

« Que comptais-tu faire avec ça ? »

Sa voix habituellement mélodieuse et teintée de bonté était à présent froide et dur. Aussi glaciale que ses yeux qui me toisaient avec colère.

M'entrainant avec force dans une loge, il ferma derrière lui avant d'agripper ma chemise et de l'arracher. Les boutons volèrent en éclat alors que je me demandais si l'embarras et la peur que je ressentais étaient normaux. Depuis quand n'avais-je pas ressentis toutes ces choses ?

« Des bleus, des cicatrices et des coupures... »

Il regardait mon corps. Pourquoi aurais-je honte ? Je n'étais qu'une poupée...

« Qui t'as fait ça !? »

« Mon créateur... »

Cette vérité m'échappa involontairement et j'écarquillais les yeux en entendant le son de ma voix. Avait-elle toujours été aussi tremblante ?

L'artiste eux alors un regard brûlant de rage avant de me prendre dans ses bras. Cette étreinte puissante et douloureuse me dérangeait. Elle paraissait si agréable, si désiré...

Je voulus me débarrasser de ces bras, mais une poupée n'était pas faite pour se défendre. Avec cette force misérable qu'était la mienne, comment pouvais-je me protéger ?

Alors le masque de la poupée se brisa, laissant une cascade de larmes déferler sur mon visage. M'accrochant désespérément à ce photographe, je me mise à pleurer sans pouvoir m'arrêter.

Dans ses bras je pouvais ressentir un sentiment que je n'avais encore jamais expérimenté jusqu'à maintenant. Un sentiment qui faisait battre rapidement et dangereusement mon cœur inexistant. Un cœur qui venait de se créer pour cet homme.

« Daniel, pardonne à ma beauté d'exister. Je t'en supplie, aide-moi à ne plus être une poupée. »

Peut-être ne comprenait-il pas, peut-être ne me pardonnerait-il pas de posséder cette beauté qui avait fait de moi une poupée qui ne pouvait broncher, qui ne pouvait protester.

Mais lorsque ses mains glissèrent sur mon visage et que ses lèvres s'emparèrent des miennes dans un baisé brûlant de ce sentiment inconnu, j'en étais certaine. Il comprenait.

« Ta beauté n'est pas à pardonner. Elle est à vénérer, ma chère muse. »

Peu importait mon passé. Aujourd'hui la poupée que j'étais venait de s'effondrer, laissant place à Erato, la jeune femme magnifique à la personnalité innocente et timide. Erato, la jeune femme pleine de rêves et de désirs, dont la poésie lyrique de sa vie commençait à s'écrire.


Dulcis PromissisWhere stories live. Discover now