Dulcis Promissis

La plus seule d'entre toutes

Etait-elle seule ? Non, elle ne l'était jamais.

Etait-elle belle ? Bien évidemment, plus que n'importe qui.

Etait-elle aimée ? Par tous, continuellement.

Non, elle n'avait rien à se plaindre de sa vie. Elle était heureuse, chérie et admirée de tous. Après tout, n'avait-elle pas travaillé dans ce but toute sa vie ? Observer les gens, les complimenter lorsqu'il le fallait. Leur dire ce qu'il voulait entendre, leur révéler ce qu'il désirait connaitre. Parfois trop leur en dire, ou bien leur faire croire en une personne qu'elle incarnait derrière un masque indissociable de son visage.

Oui, les gens n'étaient tous que des idiots. Manipulables, faibles, ils n'étaient que des outils. Tous idiots et inférieurs à sa personne, elle les considérait tous comme de simples objets, des pantins avec lesquels elle pouvait jouer.

Etait-elle seule ? Non, elle ne l'était jamais.

Regardant son reflet dans un miroir de poche, elle souriait. Elle ne se suffisait qu'à elle-même. Tant qu'elle était là pour s'aimer, personne n'importait dans sa vie.

Etait-elle belle ? Bien évidemment, plus que n'importe qui.

Lorsque ses yeux croisaient le regard d'une autre personne, celle-ci était piégée. Sa beauté était telle que personne ne pouvait lui résister. Alors bien évidemment qu'elle était belle. La plus belle en ce monde.

Etait-elle aimée ? Par tous, continuellement.

Elle était gentille, soucieuse et intéressée par la vie et les problèmes des autres. Lorsque quelqu'un avait besoin de son aide, elle l'offrait lorsqu'elle était certaine que ceci lui serait bénéfique pour l'avenir.

Sa vie était parfaite. Elle pouvait tout avoir. Bien que sa famille ne soit pas distinguée, que son passé soit en réalité remplie d'évènements sombres et douloureux, elle était heureuse d'être qui elle était aujourd'hui. L'amour et l'amitié lui importaient peu. Tout ce qui comptait était elle, et elle seule.

En ce monde où vivait manipulateur et manipulée, elle était fière de se savoir l'une des meilleures manipulatrices. De par ses méthodes uniques et inattendues, elle ne pouvait qu'être la plus heureuse. Après tout, manipuler était un art et cela demandait du temps.

Pourtant ce bonheur n'était qu'une façade. Dans la réalité, elle n'avait pas tous ce qu'elle désirait.

Sirotant lentement son thé, elle jeta un nouveau regard vers le serveur derrière le comptoir. Il n'était pas particulièrement beau, et il était loin d'être parfait. Et lorsqu'il fit tomber un verre devant deux demoiselles, celles-ci pouffèrent stupidement face à la maladresse du serveur. Elle surprit son visage s'élargir par un sourire sincère face à ce défaut adorable du jeune homme.

Lui, il était la cause du névrosisme qu'elle ressentait en ce moment. Une sensation qui la hantait depuis quelques jours déjà.

Elle allait souvent dans ce café. On pouvait dire qu'elle était une cliente régulière. Pourtant un jour son regard s'était posé sur ce serveur, qui n'était pas un nouvel employé. Et elle s'était étonnée à remarquer que son regard le suivait toujours lorsqu'il était là. Elle ne pouvait s'empêcher de le regarder. Et venait s'ajouter à cela les battements irréguliers de son cœur. Peut-être aurait-il été judicieux de contacter un médecin ?

Le jeune homme se tourna vers elle, un sourire merveilleux aux lèvres. S'approchant, il lui proposa une nouvelle tasse, qu'elle accepta volontiers.

Soudain il renversa du thé sur les vêtements magnifique de la plus belle d'entre toutes.

-Je suis profondément navré, s'excusa pitoyablement le serveur. Suivez-moi.

Elle se leva alors qu'il lui proposait d'aller dans l'arrière-boutique afin de nettoyer ses vêtements.

Alors qu'ils étaient seuls, seuls dans cette pièce loin des clients, la plus belle d'entre toutes se sentait envahir d'une nervosité qu'elle ne se connaissait pas. Le jeune homme lui tendit une serviette. Une serviette qu'elle accepta tout en prenant soin de ne pas regarder le serveur droit dans les yeux.

-Merci.

Lui offrant son plus beau sourire, revêtant son masque de jeune femme ouverte et agréable à vivre, elle espérait calmer les battements sourd de son cœur.

Mais au contraire, le visage du jeune homme se ferma. Son sourire habituel s'effaça pour laisser place à une expression neutre.

-Pitoyable.

Il se contenta de ce seul mot avant d'aller derrière elle pour fermer la porte, les enfermant dans la même pièce loin des regards indiscret.

-Que faites-vous ? s'inquiéta la plus belle d'entre toute.

Soulevant le visage de la jeune femme pour la toiser droit dans les yeux, un sourire arrogant apparut sur les lèvres du serveur.

-Je te vois. Alors arrache ce visage.

Au lieu de lui obéir, la jeune femme grimaça un sourire nerveux.

-Je ne vois pas de quoi vous voulez parler. Vous devez me confondre avec quelqu'un.

Son touché faible sur sa peau empirait les battements saccadés de son pauvre cœur.

-Tu es vraiment la plus seule d'entre toutes.

Il la relâcha. Ce fut comme une explosion. Son cœur se brisait.

Elle venait alors de comprendre.

Et lorsque le serveur partit en direction de la porte pour la rouvrir, la plus seule d'entre toutes se plaqua contre son dos, l'enlaçant dans ses frêles bras.

-Je ne suis pas la plus seule d'entre toutes. Je suis la plus belle et la plus aimée d'entre toutes...

-Alors pourquoi sembles-tu si seule ?

La question l'atteignit de nouveau en plein cœur.

Le jeune homme se tourna vers elle, l'emprisonnant dans une étreinte douloureuse.

-Cela me convient tout à fait. Je ne me contenterais pas que d'envahir ton cœur en entier. Je m'emparerais de ton esprit et de ton corps. Tu m'appartiendras entièrement.

Et alors que la Reine la plus belle d'entre toutes comprenait qu'elle était la plus seule, un chasseur arriva pour lui arracher le cœur de la poitrine, promettant une servitude éternelle pourvue qu'elle puisse l'aimer autant que lui la vénérait. 

Etait-elle seule ? Non, elle ne le serait plus.

Etait-elle belle ? L'amour la rendrait plus belle qu'elle ne l'avait été.

Etait-elle aimée ? Aujourd'hui et à jamais.

Le chasseur a porté son coup, atteignant la Reine en plein cœur.