L'Audacieux Voyage

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L'Audacieux Voyage est une Nouvelle assez intimiste que je vous partage. Entre réflexion et poésie, un petit texte qui m'a permis de réfléchir. Comme toujours, laisser parler ma plume me fait visualiser les choses d'un autre point de vue. Cela fait du mal et du bien en même temps, mais à toutes les fois, c'est salvateur.
Peut-être cela pourra faire souffler un vent du large dans votre coeur ou du moins, vous apporter un temps agréable de lecture.
N'hésitez pas à me partager vos sentiments...
Merci de votre présence,
Gaïa ;)
(Février 2017, déjà 15 mois)
(1 010 mots)
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Me voici face à cette réalité...
Ce n'est plus une crainte de l'inconnu comme celle dans la nuit de mon enfance, lorsque j'ai été te trouver dans votre chambre en disant tout bas : « Maman, j'ai peur de mourir ». Et que tu m'avais rassurée en me disant que j'étais bien jeune pour avoir ces idées et que la vie était une belle aventure.
Cette vie qui nous emporte dans ses cascades en ne nous laissant pas même le temps de regarder le paysage qui nous entoure. Nous ne somme qu'une faible brindille emportée par les flots timides du ruisseau de ce début de réalisme face à la vie.

Me voici face à cette réalité...
Ce n'est plus une crainte face à l'incompréhensible comme celle de la folie d'un homme qui vient de faucher la vie à quatorze jeunes femmes uniquement car elles n'avaient pas le bon genre. « Je n'ai rien Papa, je vais bien », ai-je soufflé au téléphone avant de ravaler mes sanglots. Polytechnique : j'aurais pu y être moi aussi. Le destin en avait décidé autrement. Comme bien des jeunes étudiants de ma génération, depuis ce 6 décembre, je veille et témoigne.
Cette vie est alors une chandelle immaculée que nous laissons brûler à la proue de notre embarcation pour servir de phare et d'hommage. C'est aussi la fierté d'une mère qui voit sa fille se tenir droite et forte pour foncer dans la vie et reprendre le flambeau.

Me voici face à cette réalité...
Ce n'est plus une crainte de l'inacceptable comme à l'aube de la nouvelle vie que je tiens dans mes bras. Sans voix, j'ai écouté le docteur m'expliquer que mon nouveau-né devait passer des tests dans un autre hôpital pour un problème inexpliqué au cœur. Dix heures d'attentes douloureuses, dans les vapeurs restantes de l'anesthésie post-opératoire, des prières muettes franchissant mes lèvres.
Cette vie est alors une peur qui s'efface, noyée dans un ruisseau joyeux, lorsque je tiens enfin mon garçon dans mes bras. Le diagnostic est bénin et le souffle au cœur s'effacera deux ans plus tard. Petit homme miraculé qui se place alors au gouvernail de ma vie.

Me voici face à cette réalité...
Ce n'est plus une crainte de l'incapacité comme dans la nuit de veille auprès de mon enfant, priant pour que tombe la fièvre tout en murmurant tout bas : «Maman est là ma petite, elle sera toujours là pour toi ». Je veille comme toute bonne maman qui, au chevet de son bébé, refait inlassablement les mêmes gestes pour atténuer la douleur, oubliant de dormir soi-même. La vie alors se résume à surveiller le souffle ténu du petit être qui lutte contre l'infection.
Cette vie est alors une nappe d'eau immobile qui nous entoure et nous place en un lieu isolé du reste du monde, dans une réalité parallèle, en bémol du reste de la flotte.

Me voici face à cette réalité...
Ce n'est plus une crainte de l'inéluctable comme ce serrement au cœur ressenti au matin d'un autre anniversaire, prenant soudain conscience du temps qui passe et de son inéluctable progression à laquelle je ne peux m'échapper. « Je ne pourrai plus maintenant », voilà ce que j'ai soupiré en laissant quelques larmes s'écouler.
Cette vie est alors un grand fleuve épanoui qui possède un cap de plus en en plus défini et ayant un sens plus défini. Mon corps et mon esprit sont plus matures, certe j'ai accompli bien de mes rêves, mais je dois accepter de laisser certaines escales rêvées sur les côtes.

Me voici donc face à la réalité...
Ce n'est rien de comparable.
Après deux ans de sursis et ce dernier mois de veille en soins palliatifs, c'est un sentiment inaltérable de peine et d'oppression.
« Maman est partie » sont les mots murmurés par ma sœur dans le calme de cette nuit-là. C'est mon père qui pleure le départ de sa bien-aimée, d'une belle et longue vie commune de 55 ans, mais aussi cette délivrance de la douleur de la maladie et de la décrépitude du corps matériel.

Cette vie est alors une tempête océane qui ébranle nos esquifs et tente de nous faire chavirer. La cale prend l'eau, les mats tremblent sous le tonnerre et les voiles se déchirent quelque peu. On doit alors prendre patience et tenter de réparer les avaries, donner le temps aux éclairs de perdre de l'intensité.

Me voici face à notre réalité...
La peur, le doute, l'espoir, l'amour, la peine, la maladie, la fierté, le deuil...
La vie est ainsi.
La naissance et la mort en sont les deux seuls points d'ancrage connus. L'un au départ de notre voyage et l'autre à la fin. Tout le reste, on a beau en connaître les étapes, les possibilités de parcours, nous n'en prenons vraiment connaissance qu'au moment où nous en vivons l'escale ou la traversée. On essait de planifier notre périple mais la vie est bien plus futée que nous : elle sait nous surprendre et nous emporter en des lieux méconnus.

« J'ai eu une belle vie, ma fille, je ne regrette rien. J'ai été heureuse » ont été parmi les dernières paroles qu'elle m'a confiées. Son navire est maintenant à bon port, elle a pris le temps de planifier la fin de son voyage, elle est en paix.

Je souhaite de tout cœur pouvoir en dire autant, Maman. Avoir ton courage, ta sagesse et ta sérénité lorsque je baisserai la voile de ma vie.

Cette vie est maintenant un océan qui m'emporte dans un long périple dont je n'ai pas encore atteint le port final. Une eau bleu, de la couleur de tes yeux, m'entoure et je navigue en espérant que tu viendras parfois souffler sur la voile de ma vie pour m'aider à faire la traversée, pour me pousser parfois dans le dos lorsque j'hésiterai à ramer ou à border la voile.
De même que tu m'as aidé au début de ma vie et que j'en fait autant pour tes petits-enfants, je continue la découverte de cette traversée extraordinaire.

Après tout, c'est le plus audacieux voyage.

À la vie.

Nouvelles - Les Reflets d'ÉtoilesWhere stories live. Discover now