Le Cirque du Bois Perdu

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Voici une nouvelle un peu sombre mais qui se veut s'éclaircir d'espoir. Qu'elle soit un apaisement pour tous ceux qui s'affligent trop de responsabilités face aux aléas de la vie.  Il faut savoir parfois se donner une chance et accepter la main tendue.
Merci à Zoé pour l'inspiration. Ta confiance m'a murmurée ses mots. Que la vie veille sur toi.

(Juin 2017)
(1235 mots)

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Par une nuit de Lune, nocturne et pleine de brumes, je laisse aller mes pas, loin de l'insomnie, cherchant l'oubli.
Combien de temps ai-je déambulé ?  Pleuré ?... Oublié.
Pour quelle raison mon errance m'a conduit là ?  Transparence ?   Décadence ? ... Absence.

Derrière la vile ville fébrile qui jamais ne dort ; loin de l'humanité qui poursuit un meilleur sort ; au-delà des limites, dans l'inconnu pour retrouver mon âme, chercher mon dû... me voilà.   Je me laisse guider par le hasard, la roulette, la girouette, la vie en silhouette.
Me voici dans la forêt.  Innocente.  Mes pas me portent vers ce mauvais côté que j'ignore, celui qu'on oublie, celui qu'en solitaire on arpente, que l'on domestique en grandissant.  Inconsciente.

Au détour d'un ravin, par-delà un ultime bosquet, je me fige à l'instant, le corps gelé, l'esprit tourmenté, l'âme déchirée.  Il y a là un cirque, sombre de lumière, totalement méconnu, fatalement isolé.

Nombre êtres s'y retrouvent, occupés, accaparés, que mes yeux ne peuvent en un seul trait observer et définir.  Cependant, un seul acteur, de sa grande hauteur, est fixé. Sur sa tribune, hautain et retiré, seul et dominant, le Directeur observe la scène, l'œil attentif et réjoui, comblé de son pouvoir et rempli de haine.

À ses pieds, du haut de son estrade, les acteurs s'activent sans retenu ni pudeur.  Ils sont, pour la plupart, des participants pour des jeux bizarres et étonnants.   Ils sont pourtant rieurs et charmants.   D'une délicatesse sournoise, garnie de gestes d'une douceur écœurante et délirante.

Scintillantes, sous les projecteurs, devant les stands ou au travers des toiles des chapiteaux, leurs silhouettes se découpent étrangement.  Des ricanements pointus ou gras se répercutent dans l'écho de la forêt obscure.  Soudain, un cri : "Comme c'est amusant au Cirque du Bois Perdu !"

J'observe les ombres qui se glissent entre les scènes éparses, où demeurent certaines autres, abandonnées et esseulées, prostrées dans leur malheur et leur abandon.

J'observe... et sans pouvoir cesser mon voyeurisme et ma curiosité, je constate soudain la réalité des détails.  J'en suis effarée, sans pouvoir fermer mes yeux choqués...
Un être capte mon regard :
Un corps à deux têtes qui gigotent et s'entrechoquent.   Parlant, criant, psalmodiant sans cesse. Comme une chanteuse à deux voix, se lamentant sur son sort, la mélodie difforme de son malheur, de son indécision, de ses multiples choix... double personnalité.  Qui n'avance ni ne recule.
Cette Bête aux membres multiples, bleus et rouges ; au corps étalé au sol en un affalement de chair flasque ou musclée, se délecte comme un fauve de sa propre chaire, festoyant avec bruits et criant de sa double voix sur sa souffrance constante.  Une des têtes me voit et m'adresse un sourire, de ses crocs acérés et sanguinolents.   Elle me souffle de son haleine fétide cette confidence :
"Certains souhaitent, même en mon état, que je reste vivante malgré moi. Ils me soignent sans ralentir mais ne me guérissent pas.  Mon corps n'est pourtant plus qu'un objet d'épouvante, pour vous comme pour moi.
Alors, pourquoi tous vous continuez à me regarder comme ça ?  Cette souffrance que je m'inflige, vous ne la comprendrez pas.   C'est si douloureux et cela n'aura pas de fin !  Seulement, c'est ma seule issue, dans mon esprit je n'ai d'autres alternatives, d'autres chemins.
De ton regard attendri et ému d'incompréhension, propose-moi d'autres solutions.   J'ai tout entendu, lu et tenté.   Personne n'a réussi à m'aider et nulle part, je ne semble avoir ma place.   Ce Cirque du Bois Perdu est le seul lieu où je ne me sens pas jugée ni rejetée.  Car, il nous est dédié, à nous les mal aimés.   Cependant, nous y sommes condamnés à y souffrir pour l'éternité."

Alors que la Bête se repenche sur son festin macabre, je tourne alors mes yeux de côtés, le cœur en lambeaux, les joues humides et la bouche crispée.  Je suis alors bousculée par une farandole d'êtres nus et asexués qui se déplacent entre les acteurs, passant près de l'Être aux deux têtes sans un seul regard compatissant.  Au contraire, surexcités et en pâmoison devant ces lieux, ils chantonnent d'une voix de fausset :
"Comme c'est amusant, si distrayant !   Ce cirque est fait pour nous divertir et nous étonner ! Comment ce Cirque pourrait ne pas exister ?   Il nous fait tant rire  !  Il nous occupe notre vie durant !   Allez les acteurs !  Ne pas cesser, ne pas vous taire.   Il faut sans arrêt faire de nouveaux trucs pour nous distraire.   Nous sommes avec vous !  Allez donnez-vous !  Donnez-nous ! "

Je soupire.
Mon cœur se serre en un poing fermé.  Je veux m'éloigner du macabre spectacle qui se déroule en cette arène.  D'un pas hésitant, je me faufile, tente de me dissimuler, de trouver une issue loin de ces étalements de souffrances et d'atermoiements, d'exhibition et d'exploitation.   Mes yeux délavés cherchent un havre de paix, d'humanité, d'empathie et de compréhension.
Mais toujours, le Directeur exhorte les foules, acteurs et spectateurs, pour se rapprocher, se lier, s'enthousiasmer, se résigner à s'exhiber ou à assister.

Le Cirque du Bois Perdu retentit de mille murmures, rires, cris et chants.   Sa lumière sombre cherche à me faire prisonnière.  Je me recule à la lisière, serrant mes poings sur mes oreilles, fermant mes paupières, cherchant une bulle de clarté en moi, pour subsister et ne pas me faire avaler par cette entité.

Je sens une présence.  J'entrouvre les yeux et je vois au sol devant moi, tapie contre un buisson sec et effeuillé, une silhouette recroquevillée.  Au rythme obsédant de ses pensées, elle se balance en murmurant un discours qui me semble insensé.
Est-ce l'empathie ou la curiosité qui me pousse ?  Me voici qui me penche et tend la main pour prendre la sienne.  Sa peau frémit, son regard se lève vers le mien et plonge en moi.  J'entends alors ses paroles qui font écho dans mon oreille et dans mon cœur :

"Je veux juste partir, sortir d'ici.  Par n'importe quel moyen.  Je veux que cela arrête.  Serait-ce même et simplement mourir... Seulement mourir.
Personne ne peut donc m'aider à en finir.   On m'analyse, me soigne, m'observe mais personne pour même essayer de me guérir.
À quoi bon ? ... Simplement mourir..."

Mes yeux s'ouvrent alors pour de vrai avec un battement de cœur différent.   Je me fige.   Je reconnais alors mon propre regard dans celui qui me toise, me supplie de guérir son (mon) âme esseulée.
Je relève alors la silhouette meurtrie, l'adosse à mon bras et mon épaule. Je lui donne de la chaleur humaine.  Au creux de son oreille, je lui glisse de la simple bonté.  Tout doucement, les encouragements honnêtes et les mots d'amour les plus sincères font leur effet...  Oui, ce que j'ai de mieux, je le lui donne à cœur ouvert.
Cette créature apeurée devient alors ma priorité, celle en qui j'investie du temps et de l'énergie. Ensemble, nous découvrirons l'issue de ce Bois Maudit.   Nous pourrons alors revenir aider, sauver, montrer le chemin de la sortie...

***

Soyons Vigilants !

Ce Cirque Perdu... il nous attend !  Il nous épie, nous tente, veut nous coincer... dans le grand spectacle ambigu de la vie d'à côté.
En être Acteur ou Spectateur : nous avons à décider si dans ce Bois Perdu nous serons happés ou si la Vie, la Vraie celle-ci, sera notre issue et que nous tendrons aussi la main vers tous ceux qui s'y seront perdus.
Ils sont Mélodie, Zoé, Alexandru, Marie-Michelle, Louann et bien d'autres qui ont croisés le chemin de ma vie...   j'ose espérer avoir su faire la différence, si petite soit-elle, dans votre chemin de Vie.  Vous me l'avouez parfois et cela me comble de joie.  Que votre âme soit belle et prospère.  Sachez que la mienne s'enrichit à chacun de vos pas vers la Vie, la vraie et la belle.
❤️

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