5.1 Loup ? Que fais-tu ?

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- Comment ça, impossible ?

Il me regarde, le visage légèrement incliné sur le côté, marqué par l'incompréhension et qui cherche à percer le mystère que je représente à ses yeux.

- Toi et moi... C'est juste impossible, je lui réponds d'une voix mal assurée.

- Non, je refuse, reprend-il aussitôt, pas après ce que nous venons de vivre.

D'un doigt sous mon menton, il ramène mon regard fuyant vers le sien.

Il tente de me convaincre ? Et il pourrait presque y arriver, mais les impératifs de ma vie me l'interdisent.

- Je ne te laisserai pas m'échapper une seconde fois.

Sa voix est nette, directe et ne me laisse aucune alternative. Comme j'aurais envie de pouvoir accéder à sa demande, mais c'est... impossible. Je commence à détester ce mot !

Les larmes me montent aux yeux en pensant à ce que je vais abandonner.

Avec une douceur infinie, il détache le loup de dentelle et vient essuyer les gouttes d'eau salées qui perlent à mes paupières. Je les ferme en soupirant et viens caler ma joue dans le creux de sa main. J'apprécie la chaleur de ce moment éphémère. Épuisée par ces derniers jours, je laisse mes émotions prendre le dessus.

Je l'entends soupirer. Il écarte légèrement les bras en me disant :

- Viens là.

Je me laisse aller contre lui, contre son corps. Il referme l'étau de ses bras sur moi et je me sens à ma place, chez moi. Ses mains me caressent tendrement le dos, la nuque. Ces gestes tendres poignardent mon cœur ; J'aurai aimé en profiter plus longtemps. Le nez contre son torse, je bredouille lamentablement :

- Je ne connais même pas ton prénom.

Un rire léger résonne dans sa poitrine.

- Effectivement, je crois que nous avons commencé à l'envers, tous les deux. Je m'appelle Gabriel...

Je me redresse rapidement, et pose mon index sur ses lèvres en lui murmurant :

- Pas de nom, s'il te plaît.

- Pourquoi ?

De nouveau, son regard tente de me sonder. Ses yeux inquisiteurs me cherchent derrière le visage que j'affiche.

Je me sépare de lui et remets hâtivement ma robe, abandonnée sur la table.

- Rébecca, dis-moi, parle-moi, ne te ferme pas...

Exaspérée par la situation, par le bordel que sa présence met dans ma vie, je lui balance en pleine figure :

- Pourquoi ? POURQUOI ? Où est-ce que tout cela va nous mener ? Tu as ta vie, j'ai la mienne et comme tu peux t'en rendre compte, nous sommes de deux mondes différents !

- Je suis sûr que nous pouvons passer outre ces détails, argumente-t-il d'un ton détaché mais convaincu.

- Passer outre ? Mais je n'ai pas envie de passer outre, dis-je énervée par le fait qu'il minimise la situation. C'est peut-être facile pour toi, mais pour moi, non ! Je dois faire face à beaucoup de choses et t'avoir dans ma vie maintenant ne fait que la compliquer. Je suis désolée.

J'attrape mes chaussures et les garde à la main, tandis que je déverrouille la porte et l'ouvre. Je sors. Il tente de me poursuivre mais il se rend compte dans la tenue où il se trouve et retourne chercher ses affaires.

J'entends du fond de la pièce, qu'il crie mon prénom, mais je continue de fuir.

J'en profite pour prendre le large, m'éloigner de lui et de tout ce qu'il déclenche chez moi. Un mot de plus et je serais incapable de lui résister. Je dois garder cette colère et ne pas m'effondrer sous des sentiments dévastateurs. La distance que je mets entre lui et moi, me comprime le cœur, m'anéantie mais elle vaut mieux que toutes les déceptions auxquelles que je serais confrontée si j'accède à ses désirs, à mes désirs...

Je sors en trombe du bâtiment et me dirige vers ma chambre d'hôtel. Je me déshabille à la va-vite et passe un jean, un tee-shirt. Ainsi vêtue, je suis moi, Charlie et j'abandonne définitivement Rébecca. Je délaisse le sophistiqué pour le naturel. Je quitte le paraître, toute cette hypocrisie de façade pour me fier à ce qu'il y a réellement dans le cœur des gens.

Une fois dans le train, je réalise ce que nous venons de vivre et ce que je viens de perdre. J'ai beau me voiler la face, ce que j'ai vécu avec lui est fort, intense, magique... Et je viens de tirer un trait sur tout ça !

Je tente de me recadrer sur ce qui est important mais mon cœur ne l'entend pas de cette manière, au contraire, il me hurle l'immense connerie que je viens de faire en continuant de taper avec un rythme irrégulier dans ma poitrine.

Tout se mélange dans ma tête : mon frère, lui, ma vie...

C'est avec une tête de zombie, à l'image de mon état d'esprit, que j'arrive chez moi. Il est encore tôt et toute la maison est endormie. Je voudrais pouvoir dormir et oublier le temps de quelques heures le foutoir qu'est devenu mon existence en l'espace de quelques jours : je tombe sur un mec qui me retourne la tête et le cœur, je quitte une activité qui arrondissait bien mes fins de mois, même si, quelque part, elle me volait mon âme, et maintenant je dois faire face aux impératifs qu'engendrent mes décisions. Car des personnes comptent sur moi, je ne peux pas me désister de mes responsabilités. Je les ai acceptées, j'assume.

Je me dirige dans les couloirs sombres et ouvre doucement la porte de la chambre de mon frère. Il dort à poings fermés. J'entre et referme doucement pour ne pas le réveiller. Je me faufile dans ses draps et me laisse gagner par la chaleur apaisante de son corps. Il doit sentir que je suis là, car même endormi, il écarte un bras et je viens me lover contre lui. Il est ma bouteille d'oxygène, mon ancre. Il est tout pour moi.

Je ne m'imagine pas une seule seconde abandonner tout ça pour des yeux gris, même s'ils sont magnifiques. Mais je ne peux m'empêcher de me remémorer les sensations qu'il m'a fait ressentir.

Je suis dans la merde ! Je vais morfler, je le sais, mais comme pour tout, je relèverai la tête et continuerai d'avancer, pour Joem, pour moi, pour Anne-Lyse avec son fils Julian et tous les locataires qui comptent sur moi.

Je ne sais pas ce que la vie me réserve, mais je me promets de l'affronter autant que je le peux...

B.

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ÂMES...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant