Chapitre 14.3 Anna

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— Anna ! Dépêche !

Jorg ajustait sa veste, visiblement embarrassé. Son discours plein de conviction de la veille semblait très loin ce matin. Elena était encore au petit déjeuner et les regarda faire. La retardataire daigna se présenter et ils prirent la route, après un dernier signe à la jeune femme encore attablée.

Anna garda tête basse pendant que Chloé gardait obstinément le regard fixe devant elle. Afin de diminuer la tension, Jorg prit une grande inspiration et tendit la main devant lui. Un tourbillon de poussière naquit devant elles.

— Il fait nuit, je peux faire ça assez facilement. Vous devez savoir que le contrôle mental que vous avez sur vous-mêmes est la seule chose sur lequel vous aurez le contrôle. Lorsque vous utilisez les Runes, vous canalisez par votre énergie vitale les forces de la Nature. En aucun cas, vous ne pourrez leur ordonner d'agir de leur propre chef. C'est pourquoi le commun des mortels ne peut pas utiliser cette magie.

Au loin, ils virent la lueur rougeoyante de l'éruption. Le panache se dessinait sur le levant.

Et sans qu'elle s'en rende compte, tout bascula. Elle se retrouva à table, dans la grande salle du château qu'elle avait déjà vu. Des dizaines d'invités l'entouraient, discutant, mais aucun ne semblait avoir vu qu'une fille de seize ans venait de les rejoindre en un clin d'œil.

Il y avait de la musique d'ambiance. Une harpe dans un coin de la pièce jouée par une femme, terriblement concentrée sur ses doigts qui volaient sur les cordes.

Les discussions étaient animées et Chloé s'y intéressa. On parlait chiffon, femme, guerre, justice. Seul l'homme en bout de table et probablement l'hôte se taisait. Il avait une coupe à la main et lorsque leur regard se croisèrent, il leva sa coupe vers elle. Elle détourna les yeux et fixa son assiette. Elle y vit son reflet.

Elle se vit plus âgée. A la louche, elle devait avoir plus de vingt ans. Mais c'était bien elle. Elle reconnut ses yeux et la forme de son visage, malgré la déformation due à la faible qualité du miroir improvisée. Elle était maquillée et soigneusement coiffée.

On lui tendit un plat et elle sortit de sa contemplation. Elle sentait le regard brûlant de l'homme en bout de table. Elle savait que l'homme la désirait ardemment. Et cela la gênait. Elle sentait le rouge venir aux joues. Chloé pouvait presque sentir les mains de l'homme parcourir son corps. Elle réprima un frisson.

— Avant le dessert, déclama un homme au beau milieu de la salle, sur un tabouret, mon maître désire faire quelques pas de danse.

Chloé jura et sut que c'était pour elle. La gente féminine autour d'elle s'était redressée et regardait le maître des lieux avec ferveur. Elle fixa le plafond.

Lorsque la voix grave derrière elle lui demanda de l'accompagner, elle maudit son karma. Un rapide regard panoramique lui fit comprendre que toutes les femmes de la salle la jalousaient. Mais elle s'en fichait. Elle attendait juste la fin de sa vision.

En se levant, elle se dit que c'était dommage que sa vision n'agisse pas comme un rêve dans lequel tu sors dès que tu te rends compte que ce n'est pas la réalité.

Elle profita pour détailler sa tenue, légèrement inquiète. La robe était sobre, légère. Belle de son point de vue.

L'homme se positionna face à elle après s'être éloigné de quelques pas de la table. Il posa sa main libre sur la taille de la jeune femme qui se crispa. Elle se laissa guider, n'ayant aucune idée des pas à effectuer.

— Détends-toi, Chloé, je ne vais pas te manger. Quoique...

— Vous savez qui je suis. Mais moi...

— Tu le sais aussi, tu refuses tout simplement de l'admettre. Regarde-moi dans les yeux et affronte-moi.

Elle s'exécuta et au moment où elle allait tomber sur ses yeux, elle se retrouva à regarder le tourbillon de poussières et de cendres de son père. Sans trébucher, elle continua sa route. Elle se repassa toute sa vision, sentant bien qu'elle avait raté quelque chose. Un élément clé. Étrangement, quand elle essaya de se souvenir du visage de l'homme, elle eut un blanc. Elle aurait pu dessiner le visage de la harpiste mais aucunement celui d'Ekan dans sa vision.

Jorg qui s'était tu, posa un instant la main sur l'épaule de sa fille. Aucun mot ne fut échangé mais elle sut que son père avait tout suivi.

Chemin faisant, ils arrivèrent à destination et Jorg demanda à Anna de patienter pendant qu'il faisait le même discours au groupe d'adolescents qu'à ses filles la veille. Tout en jouant sur le côté surveillance, dont il savait qu'ils raffolaient. Ally jura de ne pas la perdre de vue une seconde.

Quand son père partit, Chloé s'accorda un long baiser avec Nathan, s'interdisant de parler. Ravi par tant de tendresse, le jeune homme se laissa faire.

Un long silence gêné suivit l'arrivée du groupe et Peter finit par se lancer.

— Écoute, on sait ce que tu as failli faire. Tu sais que nous allons avoir du mal à te faire confiance. Mais pour ma part, je veux bien essayer. Et toi ?

Un peu surprise, l'adolescente hocha la tête doucement.

Au loin, de lourds nuages d'orages avançaient vers la cité paisible.

Les Chroniques d'ArdisWhere stories live. Discover now