L'Assistante

Chapitre Premier

Tu peux le faire.

Tu dois le faire.

Mais qu'est-ce que je fous ici ?

Mes genoux tanguent sous le classeur ouvert. Je suis la seule femme de la salle qui ne porte pas de bonnet F ou c'est moi ? Ni de jupes d'ailleurs, ni de pot de peinture sur la figure, ni de talons de douze centimètres, ni de rouge à lèvres...

Pour la énième fois, je reluque la pancarte à l'entrée sur laquelle est écrite en gros :

"Candidature au job d'assistante de PDG chez Jenkins CL - Mardi - 8h00 à 12h00."

Ce n'est pas écrit "casting actrices X" pourtant.

Je suis la seule femme qui porte des lunettes de vue et qui porte un classeur sur les genoux au lieu d'une trousse de maquillage.

Argh, ma tension monte.

Calme-toi.

Tu es à la bonne place.

Cinq femmes sont déjà entrées et sorties, le déhanché affirmé et la mine fière. Toutes avaient l'allure de mannequins qui défilaient sur un podium de Victoria Secret.

Je me ratatine encore plus sur moi-même.

Avec mes cernes et mon teint terne, je fais tâche dans le tableau et ce sera peut-être la seule différence.

Ça pue le luxe ici. J'ai l'impression de faire la queue pour entrer dans une autre suite du château de Versailles. Le parquet brille. Les murs sont hauts et le plafond vaste. Même les chaises sont de qualité. C'est du sérieux.

Pour être honnête, je ne m'attendais pas à ce genre de concurrence en tombant sur l'annonce. La nuit dernière fut une nuit blanche que j'ai passé à revoir en large et en travers l'historique de la compagnie.

La société Jenkins CL bâtit en 1900 a prospéré pendant les deux guerres en recourant aux informations de services spéciaux. Elle était alors autrefois nommé Jenkins & Brothers. Des frères unis qui ont investi dans un garage pour créer des idées...

– Madame Loti.

Mon nom résonne comme une sentence dans la bouche de l'homme qui vient d'ouvrir la porte. Miss bonnet F passe devant moi d'une démarche féline et surréelle et je me reçois la fragrance de son parfum sur tout mon corps à son passage. Merci pour l'échantillon gratuit.

Tout en levant un bras fébrile pour signaler ma présence, je me lève en fermant mon classeur.

La main sur la poignée, il me détaille de la tête aux pieds en ne cachant pas son air surpris. Oui, je dois sûrement dépayser avec mon apparence.

Dos à la porte il me fait poliment signe d'entrer de la main avant de fermer derrière moi.

La salle est plus petite que je m'imaginais ou bien ce sont les murs qui se referment sur moi. Un bureau trône au centre de la pièce, sûrement déplacé pour les entretiens. Le mur de derrière est constellé d'étagères remplies de livres, de gros livres.

Je me concentre sur le patron qui s'est levé à mon entrée.

Adam Jenkins.

Il est grand et imposant dans son costard bleu marine. Sa cravate noire qui repose sur sa chemise blanche est nouée à la perfection. J'ai beau survolé son apparence, je ne vois aucune imperfection...du moins à l'extérieure.

Je prends sa main dans la mienne et il la serre d'un geste ferme et sec avant de la lâcher. Il s'assoit tout en se raclant la gorge.

– Asseyez-vous, m'invite-t-il ce que je fais.