-II- How to lose feelings in twelve steps

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Trouver l'endroit où j'habitais était extrêmement simple. Dans la rue principale de la ville se trouvait une maison à colombage d'un étage, légèrement à l'écart des immeubles qui logeaient le plus souvent des étudiants de l'université voisine. L'excentricité de cette bicoque m'avait beaucoup attirée. En plus, à cause des travaux qu'il fallait faire et grâce à un propriétaire beaucoup trop feignant pour les faire soi-même, le prix avait été revu à la baisse. Mes parents acceptèrent de m'aider à la payer à condition que je réussisse à mener à terme le projet de mes rêves, à savoir devenir fleuriste.

A peine six mois après l'avoir repérée, le rez-de-chaussée était devenu une véritable petite boutique, s'étendant jusqu'à devant le trottoir. J'étais devenue plutôt assez connue étant la seule fleuriste dans le coin. N'importe qui venait acheter des bouquets ou des plantes : les étudiants, les petits vieux, les femmes, les hommes, les deux...J'étais assez contente de pouvoir être autonome. En plus, c'était grâce à tout ça que j'avais rencontré Milo.

Je garais ma voiture dans un parking communautaire à quelques mètres de la rue.Fallait quand même courir jusqu'à mon chez-moi sous la pluie qui devenait de plus en plus forte, quelle poisse. Il faisait nuit noire,car évidemment, l'enterrement s'était déroulé dans sa ville natale à quelques petites heures de route d'ici. Mon esprit était plus brouillé que des œufs à cause de la fatigue, je fis quand même attention à bien fermer la porte à clef derrière moi et à vérifier que tout était en ordre dans la boutique. J'arrosais les fleurs avant de monter l'escalier en bois, craquant sous mes pieds.

L'étage était pas mal grand. Je l'avais remarqué en emménageant. Quand Milo était là, on s'en foutait, on vivait bien dans toutes ces pièces. Il n'y avait pas cette horrible impression de vide et de silence. Il y avait des plantes un peu partout, même dans la salle de bains. Il adorait qu'on vive comme ça, il savait que je trouvais ça irréel. On était comme un couple de petites fées vivant dans notre jardin secret. Là, pendant que je coulais un bronze, j'avais l'impression de rien comprendre. Je fixais ces foutus impatiens au bord de la baignoire et la réalité me tombait dessus aussi fort que ce que je venais de sortir de mon corps.

La chambre avait toujours été petite. Il avait posé sa guitare dans un coin, entourée de toutes les fleurs à qui j'avais donné un petit nom. Il y avait un chemin pour accéder au lit double, au milieu de la pièce, au bureau avec l'ordinateur portable, à l'armoire et à la fenêtre. Il y avait encore ses vêtements sur la chaise... L'écran allumé, Lost Art of Murder de Babyshambles s'échappant dans la pièce, j'enlevai mes fringues et m'allongeai sur le lit, tenant son t-shirt dans la main. Les gouttes s'abattaient contre le plexiglass. De ce temps-là, on ouvrait toujours la fenêtre pour qu'il puisse fumer ses Seven Stars. Moi, je trouvais ça dégueulasse. Il avait même eu le culot de commencer ce petit rituel lors de sa première nuit dans ma chambre. Pourtant, à chaque fois qu'il m'embrassait, ses lèvres avaient un léger goût de myrtille.

Minuit quinze. On avait l'habitude de se coucher beaucoup plus tard que ça. Les nuits précédant l'enterrement, je n'avais pas vraiment le temps de m'ennuyer, devant aller à gauche à droite pour faire toutes les démarches administratives. Mais là...Il n'y avait plus rien à faire.
La fenêtre était ouverte.M'emmerdant un peu, j'avais trouvé un paquet dans la poche de son pantalon. Il en restait trois. Je trouvais le goût toujours aussi dégueulasse et je n'avais même pas l'impression de toucher ses lèvres. Mais bon, il ne fallait pas que je la gaspille. La fumée sortait de ma bouche et de mes narines, j'aimais bien faire croire que j'étais un dragon. Je regardais quelques corbeaux qui s'étaient posés sur les pavés et qui restaient silencieux. Comme moi, ils écoutaient l'eau tomber.




Le premier jour où Milo était entré dans ma boutique, il semblait surpris de voir une fille au même look que lui en train d'arroser un pot de lys. Pour tout avouer, il m'avait aussi un peu... Comment dire ? Captivée. Je le voyais avancer vers moi, au milieu de petits vieux qui cherchaient la plante parfaite pour agrémenter leur balcon, perdu dans un endroit qui n'était clairement pas le sien.

« J'ai besoin d'un bouquet, elle est où ta mère ?
- Plus poliment, s'il te plaît. »

Avant même qu'il ai pu répliquer, je lui assénais un coup de jet d'eau sur le visage. Tout le quartier savait que je détestais plus que tout les personnes ne prenant pas le temps de dire « bonjour »,« s'il vous plaît » et « au revoir ». On pouvait me dire n'importe quoi entre ces mots, même me traiter comme une merde, à condition d'être un minimum éduqué, même pour un punk de son genre. Évidemment, il fut assez énervé, ridiculisé devant tous ces octogénaires, tentant de s'approcher de moi en marmonnant des insultes. Mais c'était sans compter la puissance de mon arme inesquivable dans sa figure.

« De une, ma mère est à plus d'une centaine de kilomètres, je tiens la boutique. De deux, on dit bonjour à la dame. »

J'arrêtais l'eau, voyant qu'il était toujours sur les nerfs mais prêt à être obéissant. Il les voulait vraiment, ses plantes.

« Bonjour à vous, votre saloperie d'excellence. Auriez-vous l'amabilité de cesser d'être une pute cinq minutes pour que je puisse acheter un bouquet, s'il vous plaît ? »

Il ne connaissait rien aux plantes, je l'avais senti. Il ne savait même pas quel genre de fleurs il voulait acheter. Personne présent à ce moment n'aurait cru que, à peine quelques mois plus tard, il aurait été capable de citer par cœur le nom de tous ces végétaux.

How to Fly in a White Sky (vers.1)Onde histórias criam vida. Descubra agora