15 : LA PROMESSE

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15 : LA PROMESSE

- Ça fait une semaine que tu ne l'as pas revu Ewel, faudrait que t'ailles à l'hôpital, lance Judith d'une voix contentieuse.

- Je sais.

Ma meilleure amie ramasse les miettes que j'ai laissées sur mon bureau. Malgré les événements terribles de samedi dernier, la vie n'a jamais cessé de reprendre son cours. J'ai foiré un contrôle de maths, me suis ratatiné devant mes notes en philo et les devoirs maisons se sont multipliés.

- Rappelle-moi son état, quémande-t-elle en s'allongeant à côté de moi sur mon lit.

Comme une machine, j'ai récité :

- Il va bien. Il se souvient de tout le monde, il sourit comme d'habitude, il a un bras cassé et cette jambe qu'il doit traîner dans un fauteuil. Il n'a pas vraiment changé. Les buissons l'ont presque sauvé.

- C'est positif, affirme la blonde en posant sa paire de lunettes sur ma table de chevet.

J'acquiesce. Tout est très positif avec Ewel, même après un accident grave.

- Mais il ne parle plus, Judith. Il ne fait que se taire. Et t'aurais vu ses yeux quand il s'est réveillé puis a appris que la fille sur le balcon à côté de lui s'était paralysée les deux jambes. Putain Judith, t'aurais vu ses yeux quand il m'a vu...

Ma voix s'est brisée.

- Il va rompre, soufflé-je mal à l'aise.

Ju' s'est redressée, étonnée.

- Pourquoi est-ce que tu penses ça ? Pourquoi est-ce qu'il romprait avec toi ? Il n'a aucune raison de le faire Ewel...

Je réplique, la gorge sèche :

- Si je pose un pied dans sa chambre d'hôpital, je sais qu'il va le faire. Ou alors c'est moi qui vais le faire. Mais je sais que si je recroise le regard qu'il m'a lancé cette nuit-là, je vais pas pouvoir le supporter. Et puis je sais pas, y a la promesse qu'on s'est faite février dernier.

Un silence s'est infiltré dans notre discussion et j'ai soupiré bruyamment. J'ai restitué les souvenirs broyés de ma mémoire. De mon arrivée aux urgences ou j'ai cherché avec affolement Magalie jusqu'à mon retour chez moi. La rousse était assise avec deux adultes. Les parents d'Ewel ne m'ont jamais paru aussi intimidants que ce soir-là. On m'a informé de la situation, des détails. D'après les médecins, Ewel avait eu de la chance. Il aurait pu mourir, se briser la nuque, perdre l'usage de son corps et bien encore. Mais la gravité de ses blessures étaient moindres que celles annoncées par Magalie au téléphone. Sa commotion disparaîtrait d'ici quelques semaines et il irait bien mieux. Ses fractures prendraient quelques mois à s'en remettre. L'adolescent serait suivi par un psychologue tout le long. Les informations avaient grandement rassuré tout le monde, mais mon cœur n'a jamais cessé de s'inquiéter pour autant.

En arrivant dans la chambre, bien des heures après, les plâtres avaient été déjà mis ; et tout le monde lui souriait dans la pièce. J'ai avancé vers Ewel, me sentant presque de trop dans cette chambre fermée. J'ai tenté un sourire. Il ne me l'a pas rendu. Et puis, j'ai croisé son regard.

Avant, Ewel avait des yeux bleus vifs, océan, embrassant l'azur. Là, ces yeux ressemblaient à des couches de silence, de morceaux de topaze bleu durablement fracassées portant une tristesse infinie.

Et tout ça, je ne pouvais pas le soigner mais que l'aspirer et le ressentir de mon côté.

Je suis sorti de la chambre, malheureux et suis rentré chez moi avec ma mère, sans rien dire dans la voiture et avec la maudite impression que c'était comme terminé, comme si l'ère d'Ewel Cohen s'était abattue d'un coup. En une soirée.

DEUX EWEL POUR LE PRIX D'UNWhere stories live. Discover now