Chapitre 4

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Le moment le plus tant attendu est enfin arrivé. Ma mère est partie chercher la voiture tandis que j'attends dans le hall d'entrée de l'hôpital. Enfin libérée. Ma tante Marie et Pierre sont à la maison, ils nous attendent. Le repas sera bientôt prêt d'après ce que ma mère m'a dit. Hier encore, Pierre était dans ma chambre d'hôpital mais maintenant tout est fini.

À la maison, j'ai l'impression d'être accueillie comme une princesse. Je sens l'odeur du saumon fumé qui chatouille mes narines quand je dis bonsoir à tout le monde, heureux de me retrouver parmi eux. Je pars aider ma mère adorée et ma tante pour dresser la table, même si elles insistent pour que je me repose le temps que ça soit prêt. Mais je me sens en pleine forme et je compte le leur prouver en posant assiettes et couverts dans un plateau avant de me diriger dans le salon. Harry descend me dire « bonsoir » et je regrette aussitôt de ne pas avoir pu rester un peu plus longtemps dans mon ancienne chambre.

— Je t'ai manqué ? demande-t-il ironiquement en piquant une chips sur la table.

— Pas le moins du monde, dis-je en glissant une serviette sous un verre.

— Ce n'est pas très gentil de me dire ça, à moi ton grand frère adoré. Tu me brises le cœur, souffle-t-il en posant ses deux mains sur sa poitrine.

Il se rapproche de moi pour m'annoncer que maintenant que je suis rentrée, il va pouvoir reprendre ce qu'il a arrêté de faire depuis un petit moment. A ce moment, Pierre entre dans la salle à manger avec une salade de riz, maïs et thon dans les mains. Il m'interroge du regard quand il voit sortir mon frère avec un sourire victorieux mais je lui dis que tout va bien.

Bien sûr que ça ne va pas ! Mon frère va recommencer ses menaces à partir de demain matin. Mais je préfère ne pas lui dire car je trouve qu'il se préoccupe un peu trop de moi ces derniers temps. Il devrait se concentrer sur ses études plutôt que moi, même si j'avoue qu'il est aussi fort que moi en classe.

Je ne peux m'empêcher de rire aux blagues que Pierre fait quand nous sommes tous autour de la table, ce dernier à côté de moi. Qu'est-ce que ça fait du bien de le voir aussi joyeux ! J'ai l'impression de revivre après ces deux dernières semaines d'ennui et de souffrance.

Malheureusement le repas n'est pas aussi parfait qu'il en a l'air. Mon frère ne fait que lever les yeux et souffler au point que ma mère finit par lui demander pourquoi il est dans cet état. Avant qu'il ne réponde, je le regarde droit dans les yeux en disant, énervée :

— Ce n'est rien, j'avais oublié que Monsieur Montgomery détestait la présence de sa sœur.

Je laisse retomber mes couverts violemment sur la table et pars dans ma chambre. J'entends un « Va te faire foutre, petite sœur ! » quand j'arrive en haut des escaliers. Je claque énergiquement la porte de ma chambre et j'attrape mon casque avant de lancer ma playlist triste. Oui, je sais, c'est bizarre dit comme ça mais la musique est une des choses qui me permet de ne pas toucher le fond. J'en ai besoin quotidiennement, alors j'ai une playlist pour chaque moment de ma vie. Un jour j'étais en train de lire un livre et le protagoniste faisait la même chose, alors j'ai voulu tenter de faire comme lui et au final, cette idée m'a beaucoup plu et j'ai fini par m'instaurer cette règle à moi-même.

J'écoute une chanson d'Adele pour essayer de calmer mes nerfs parce que j'ai vraiment besoin de me détendre. Encore une fois c'est moi qui aie quitté la table en première, et donc ça veut dire que c'est encore Harry qui a gagné à son jeu favori « Je te provoques, tu me fuis ». Il faut vraiment que j'arrête de me comporter comme une gamine. Il gagne à chaque fois et à chaque fois, ça m'énerve. Je passe de la colère aux sanglots.

Allongée sur mon lit, je ferme les yeux pour mieux apprécier la mélodie qui s'infiltre dans mes oreilles. Je coince un oreiller entre mes bras et ma poitrine. Quelques larmes glissent sur ma joue, écouter du piano m'a toujours fait pleurée... aussi sensible comme je l'ai toujours été. « Someone Like You » est une de mes chansons préférées car elle me provoque des frissons à chaque fois que je commence à l'écouter. Le refrain m'arrache le cœur et j'aimerais que cette sensation s'arrête pour toujours. Je n'aime pas souffrir, personne ne devrait souffrir dans ce monde cruel. J'attrape mon doudou en forme de bébé pieuvre avec un sourire puis je me laisse rouler sur le dos pour regarder le plafond.

Je déteste me sentir comme ça, comme une faible. Pourquoi Harry me déteste autant ? Je n'ai jamais rien fait pour me nuire. Une autre chanson met en route et j'aimerais pouvoir faire quelque chose pour me sentir plus forte mais je n'ai pas de courage. Je n'ai pas de courage ni pour sourire ni pour ouvrir les yeux. Je n'ai plus de force, juste écouter de la musique.

Quelqu'un vient me toucher l'épaule et je sèche discrètement mes larmes. Je crie par dessus la musique de me laisser seule, sans me retourner pour voir à qui je parle. Je dois être vraiment pathétique à regarder. Me mettre dans un état pareil pour un comportement immature venant de mon frère et me voilà en train de pleurer en écoutant des musiques de guitare tristes. Pourtant je ne me sens pas forte pour faire quoi que ce soit d'autre là maintenant.

J'envie Céleste d'entretenir une relation aussi proche avec sa sœur. Pourquoi je n'ai pas ça moi non plus ? Pourquoi je n'ai pas un frère gentil et protecteur ? J'ai eu le droit à un aîné tout sauf agréable et amusant. Il m'ignore complètement au lycée et quand ses amis me regardent comme une gourmandise, il ne réagit même pas. Et encore "gourmandise" n'est pas le bon mot, j'ai déjà eu le droit à plusieurs reprises à des attouchements venant mais je n'ai jamais rien dit. J'aimerais un jour qu'il se passe quelque chose, un signe, n'importe quoi pour qu'il se rende compte qu'il me blesse tous les jours. J'aimerais qu'il fasse attention à moi et à mon cœur fragile.

Oui, c'est ça, je suis fragile. Fragile comme une fille en manque d'attention. Je ne sais vraiment plus quoi faire. D'accord, parfois ça m'arrive de dire à Céleste que je me sens souvent seule et triste mais seul Pierre est courant de ce que me fait endurer mon frère. Seulement ce qu'il fait, pas ses potes. Mais ça ne veut pas dire pour autant que je lui fais part de toutes mes pensées, même les plus douloureuses quelles qu'elles soient. Le « Mistral gagnant » envahit mon esprit et j'éclate en sanglots encore plus. Des frissons me parcourent le haut du corps et j'ai envie de lâcher des cris de souffrance. Alors c'est ce que je fais mais je les étouffe dans mes coussins pour ne pas que les autres m'entendent au rez-de-chaussée. Je n'en peux plus... je n'en peux vraiment plus du tout de tout ça.

Je me mords la lèvre à plusieurs reprises pour me calmer. Mon sang brûle dans ma peau et mon cœur est déchiré en mille morceaux. Je suis vraiment en train de devenir folle. Vraiment folle. Je ne souhaite à personne de ressentir ce sentiment. Pourtant nous n'y pouvons rien.

J'essaie de contrôler les battements de mon cœur en peine mais je n'y arrive pas. J'ai besoin de parler à quelqu'un mais je n'ai pas le courage de me lever pour aller en bas. Je ne veux pas non plus descendre pour éviter qu'ils ne me voient pas dans cet état.


Je me réveille au milieu de la nuit. Je retire mon casque de mes oreilles, mon téléphone s'est éteint car je n'avais plus de batterie. Je descends dans la cuisine me servir un verre d'eau et je remonte dans ma chambre avec. Mon père était encore dans ce rêve, il était en train de me faire danser dans le jardin chez mes grand-parents. Ma mère était allongée sur un transat en train de lire un livre et elle nous regardait de temps en temps en faisant son sourire le plus rayonnant au monde. Je trouve ça étrange de me souvenir de ça alors que j'étais très jeune à cette époque là. Mais je suis contente de l'avoir encore en mémoire, comme d'autres encore plus amusants.

Je portais une robe blanche qui m'arrivait jusqu'aux genoux et mon père était habillé d'un tee shirt et short de sport. Nous étions en train de danser comme des fous sur l'herbe. Il me faisait pivoter sur moi-même, il me portait dans ses bras et me faisait tourner au dessus de sa tête. A ce moment là, je me sentais voler comme un oiseau, libre.

Il me manque terriblement. Je n'arriverai définitivement jamais à refermer ce trou dans ma poitrine. Je pense qu'il se refermera peut-être, un jour s'il reviendra. Si mon cœur le voudra bien, si je voudrais bien l'accepter.

Je m'allonge sous la couette et regarde les étoiles scintiller dans le ciel nocturne de janvier. La nature m'attire, j'ai toujours été fascinée par les belles choses. Je me souviens l'été dernier être partie en Normandie pendant deux semaines. J'adorais regarder les étoiles après minuit avec mon meilleur ami, assis sur un banc au pied d'un arbre. Je le forçais à rester avec moi jusqu'à une heure passée du matin pour admirer le spectacle nocturne le plus impressionnant qu'il m'ait été donné de voir. J'aimais la sensation que ces milliers de petites lumières provoquer sur ma peau : j'en avais la chair de poule tellement c'était magnifique. Pendant un moment, j'ai bien cru que c'était un ciel artificiel tellement il me paraissait irréel.

Je m'endors en pensant au Marchand de sable et ces jolis rêves.

HasardWhere stories live. Discover now