Chapitre 8

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   La journée se termine rapidement, je commençais à m'endormir pendant le cours de mathématiques mais Alex m'aidait à rester éveillée. C'est mon voisin en SES et mathématiques. Il est trop gentil avec moi, c'est incroyable. Il me sourit quand il me secoue doucement le coude pour que je me redresse. J'ai définitivement besoin de faire un long et profond sommeil ce soir. La nuit dernière j'ai encore fait des cauchemars. En général, mes rêves mélangent les personnes de mon entourage, l'univers des livres que je lis et des films que je regarde. Au début ça commence toujours bien puis après il suffit d'une cohérence dans mon rêve et ça finit en drame.

   J'essaie de me concentrer sur le tableau rempli d'équations pendant les vingt dernières minutes du cours. Allez, courage, c'est bientôt terminé. J'espère que m'endormir en cours ne va pas devenir une habitude. Je n'aime pas quand ça m'arrive, d'ailleurs tout le monde déteste ça. Mais ça doit être encore plus malpoli envers le professeur quand il s'en rend compte. Je n'aimerais jamais qu'un enseignement se dise que je m'ennuie ou que je ne dors pas assez pour suivre en cours.

   Si seulement on pouvait être maître de soi-même, on pourra faire beaucoup de choses sans ne plus avoir de défaut. Mais vivre dans un monde rempli de personnes sans défaut, c'est... ça deviendrait intéressant, voire même ennuyeux. Attendez une seconde, suis-je vraiment en train de faire de philosophie en cours de mathématiques ? Il faut croire que oui, j'ai vraiment besoin de me reposer.

   Quand la fin du cours est annoncée, je note dans mon agenda qu'il y a un contrôle dans deux semaines. Romain vient me dire au revoir avant de filer pour aller à son cours de tennis. Il n'a pas oublié que nous devions avoir une conversation sérieuse avec Céleste. J'avais espéré qu'il est oublié mais mon meilleur ami est plutôt doué pour avoir une bonne mémoire auditive. Ça sera pour demain alors.

   Céleste m'aide à ranger mes affaires dans mon sac. C'est un vrai bazar sur ma table. Alex me souhaite une bonne soirée à moi et à ma meilleure amie avant de quitter la salle accompagné d'Annie. La pièce se vide rapidement. En même temps ce n'est pas étonnant, le mardi est la journée la plus longue car nous faisons 8 heures - 18 heures avec seulement une heure pour déjeuner.

   Le professeur éteint la lumière et ferme la porte à clé derrière nous. Je vois William qui pose les yeux sur moi, adossé contre le mur. J'avais complètement oublié notre « rencard » ! Je bafouille quelque chose à Céleste comme quoi je dois passer un peu de temps avec lui et elle me quitte, surprise par mon comportement.

   Je me retourne et je me retrouve nez à nez avec lui, son visage trop proche du mien. Je le préviens que s'il me touche une seule fois, je rentre chez moi. Tandis que nous nous dirigeons vers la sortie du lycée, je ne me sens pas du tout à l'aise. Je n'ai aucune idée d'où est-ce qu'il voudrait m'emmener.

— On va où comme ça ? demandé-je, pressée d'en finir avec lui. Mon frère m'a dit que tu avais un endroit précis en tête.

— Bah en vrai, je n'avais pas d'endroit vraiment précis. J'ai dit ça pour trouver une excuse pour pouvoir être avec toi.

— Oh bah génial...

   Au moment où je tourne la tête, je croise le regard de Jules. Oh non, pas lui... Pas maintenant ! Je détourne aussitôt le regard en baissant les yeux. Je ne veux pas qu'il me voit en compagnie de William, je ne veux pas voir sa réaction ni qu'il me voit tout court. J'étouffe un sanglot en suivant l'ami de mon frère.

— J'aimerais bien que tu marches à côté de moi, tu sais, me fait-il remarquer gentiment.

   Je souffle, je dois au moins faire semblant d'être heureuse comme je l'ai promis à Harry. Enfin plutôt comme je lui obéis. Après tout, je me suis toute seule dans cette situation ; je n'aurais pas dû élever la voix face à lui après qu'il m'ait parlé.
Parfois je regrette ma vie, je regrette de ne pas avoir eu un père présent. Je regrette d'avoir un frère qui est aussi violent que comme il respire. Je regrette un courage que je n'aurai définitivement jamais pour en parler à ma mère ou à mes amis. Je regrette que Pierre ne soit que mon cousin, j'aurais voulu l'avoir mais à la place de mon grand frère.

   Un bras m'arrête et je recule, surprise. C'est William qui vient de m'empêcher de traverser au moment où un camion passait. Je le regarde un moment avant de le remercier. Il me rend mon sourire. Après tout, il n'a pas l'air aussi méchant comme je l'ai toujours pensé. Il me fait un signe de la tête pour me signaler qu'on peut traverser.

   J'arrête de réfléchir une seconde et je me sens un peu plus libre. Je marche maintenant à ses côtés et non derrière. Il me rentre dedans quand il tourne à droite. Je m'excuse avant de continuer notre chemin. On s'assied sur un « banc ». Mes pieds pendent dans le vide, nous sommes assis à l'esplanade de Neuilly. Je regarde les voitures passer par le tunnel, tandis que d'autres en sortent. Je lève encore un peu plus la tête et j'observe les milliers de petites lumières qui éclairent la Défense.

— La vue est magnifique, dis-je à voix haute, merci.

— Je t'en prie. J'aime bien venir ici seul parfois le soir pour réfléchir. Je réfléchis à ce que je pourrais faire après la terminale. Au passage, profite de la seconde parce que la terminale ce n'est pas la joie.

   Nous rigolons tous les deux à sa remarque et je me concentre sur le courant de la Seine.

— Tu es bien différent de mon frère, il est toujours énervé, toujours à m'embêter pour que ça finisse mal. Tu as l'air beaucoup plus facile à aborder quand tu n'es pas avec lui ni avec les autres.

— C'est ce que tu penses ?

   Je hoche la tête pour répondre à sa question. Nous restons un long moment à discuter, parfois des blancs viennent s'incruster dans la conversation mais ce n'est pas gênant. Les minutes passent, une heure, peut-être deux aussi ? Je n'ai pas de montre sur moi et depuis la première fois que j'ai quitté Jules ce midi, je me sens libre de mes mouvements. C'est bon signe, non ? Enfin peut-être pas puisque William reste quand même un ami de mon frère, mais il a l'air sympa malgré tout...

   Je replie mes jambes contre ma poitrine et je pose ma tête sur mes genoux. C'est calme, en dehors de quelques coups de klaxons bien évidemment. Je devrais venir ici plus souvent. Je ferme les yeux pour savourer l'instant présent. Je suis en sécurité, loin de mon frère et il ne me fera rien ce soir car je sais que William ne dira rien de négatif sur moi.

— A quoi tu penses ? me questionne-t-il en se tournant vers moi.

— A trop de choses auxquels je pense tout le temps et qui fatigue le cerveau d'une jeune ado comme moi, blagué-je.

— Je vois le genre, remarque-t-il, un sourire aux lèvres. Merci en tout cas d'avoir accepté cette sortie avec moi. Même si je sais que ce n'est pas réciproque, ça m'a fait vraiment plaisir en tout cas.

   Bah en même temps je n'avais pas vraiment le choix, pensé-je intérieurement. Au moment où ces paroles traversent mon esprit, j'ai l'impression d'être cruelle envers lui. J'avoue que j'ai aimé passé du temps en sa compagnie même si au début, je voyais ça comme un supplice.

— A moi aussi, ça m'a fait plaisir, le rassuré-je en souriant.

   Au bout d'un moment qui me semble interminable mais agréable car je ne veux pas encore rentrer chez moi, William me propose de me raccompagner.

— Un vrai gentleman ferait ça, dit-il amusé en mettant son sac sur une épaule.

— Et c'est pourquoi je n'ai pas à refuser.

   En vrai, il est sympa. Vraiment. Il me dépose devant chez moi et il rentre un instant pour discuter avec mon frère. Je suppose que c'est pour lui faire un « compte-rendu de notre rencard ». Je monte m'enfermer dans ma chambre après lui avoir dit bonsoir. Elle avait l'air surprise que je rentre avec William car il a deux ans de plus que moi. Je lui ai sourit en hochant les épaules avant de regagner l'étage.

   Au début, je pensais que passait du temps avec William était puéril et stupide de ma part, mais en fin de compte, je me suis quand même bien amusée. Mon frère vient frapper à ma porte et me regarde un moment. Mon cœur s'accélère même si je sais très bien qu'il ne va rien me faire car j'ai répondu au besoin d'un de ses meilleurs potes. Il continue de me fixer du regard avant d'ajouter :

— Bien joué, Will a été très content de votre tête-à-tête.

   Je me contente d'un bref sourire avant de vider mon sac de cours sur mon lit.

HasardWhere stories live. Discover now