2. Sois sur tes gardes (version éditée)

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Alyssandra resta immobile, attentive aux bruits environnants. Après avoir fermé la porte, l'un des shebabs ouvrit le judas métallique pour l'observer. La jeune femme se fit violence pour ne pas bouger et resta dans son coin, la tête baissée, le front posé sur ses genoux remontés contre sa poitrine. Même s'il devait à peine la distinguer dans la pénombre, elle préférait ne rien laisser paraître. Au bout de quelques minutes, le garde, lassé d'attendre une réaction, referma le judas avec un claquement sec. Elle inspira, soulagée. Ils n'étaient pas venus pour elle cette fois ! Quand ils avaient ouvert la porte, ils ne s'étaient même pas donné la peine de lui braquer la lumière de leur torche en plein visage pour l'aveugler, comme ils en avaient l'habitude. Ils s'étaient contentés de jeter leur charge sur le sol. Après plusieurs jours passés dans une obscurité totale, ses yeux étaient devenus très sensibles à la lumière et, quand les gardes étaient entrés dans la cellule, éblouie, elle n'avait pas pu voir ce qu'ils avaient apporté dans sa geôle. Elle espérait qu'il ne s'agissait pas d'un engin de torture. Jusqu'à présent, elle n'avait subi que des interrogatoires musclés, mais les choses risquaient de se détériorer très vite.

À vrai dire, elle ne savait pas si c'était une bonne chose de chercher à découvrir ce dont il s'agissait, mais elle ne pouvait pas rester ainsi, sans rien faire, à se poser des questions. Intriguée, la jeune femme bougea tout doucement le long du mur pour se rapprocher de la porte. Elle progressa avec lenteur, chaque mouvement un peu brusque envoyant des ondes de douleur dans tout son corps. Ces salopards n'y étaient pas allés de main morte lors du dernier passage à tabac ! Elle devait être couverte d'hématomes et avoir une ou deux côtes fêlées !

Soudain, elle entendit un gémissement sourd. La jeune femme se figea instantanément, une décharge d'adrénaline inondant son système sanguin. C'était un être humain ! Elle n'était plus seule dans la cellule. Indécise, Alyssandra pesa le pour et le contre. Devait-elle s'approcher et aider l'Autre ou, au contraire, s'en méfier ? Après tout, il pouvait s'agir d'un piège. Mais peut-être les terroristes avaient-ils décidé de regrouper leurs captives...

À voix basse, la jeune femme énonça les prénoms des trois Américaines capturées avec elle :

— Kelsey ? Jessica ? SandraLee ?

N'obtenant aucune réponse, Alyssandra s'avança lentement vers le corps, les mains tendues en avant. Ses doigts rencontrèrent en premier une chaussure à semelle épaisse. Elle la palpa légèrement, identifia une rangers. La fille Ewing et ses copines ne portaient pas ce genre de godasses. Les rangers étaient pratiques et confortables pour randonner, c'était plutôt son style à elle ! L'Autre portait des chaussures militaires d'assez grande taille, il y avait donc fort à parier qu'il s'agissait d'un homme. Le gémissement qu'elle entendit la conforta dans cette hypothèse. À tâtons, elle continua sa progression le long du corps de l'inconnu, remonta le long de sa jambe et sentit la forme caractéristique des poches d'un pantalon cargo similaire au sien. Doucement, elle progressa vers le torse et sentit sous ses doigts des pectoraux fermes, puis des biceps et des épaules plutôt développés. Pas de doute, c'était bien un homme, et un homme plutôt sportif. Était-ce un soldat ? Elle n'avait pas trouvé de plaques militaires autour de son cou ni de velcros d'identification sur ses vêtements.

L'inconnu, inconscient, ne bougeait pas : Alyssandra en profita pour fouiller les poches de son gilet. Elle ne voyait rien et ne pouvait se fier qu'à son toucher. Elle trouva un paquet rectangulaire qui fit un drôle de bruit quand elle le manipula, un autre paquet plus petit et moins rigide au toucher, une paire de lunettes de soleil dont un des verres était cassé, un morceau de tissu et des bouts de papier ainsi qu'un calepin avec un stylo roller. Aucun ustensile susceptible de l'aider à s'enfuir, pas de canif, pas de téléphone, pas d'outil, rien ! Et le roller ne lui apporterait qu'une protection dérisoire si elle s'en servait pour se défendre.

Curieuse, elle se concentra sur les paquets. Après avoir tourné le plus petit entre ses doigts, elle finit par le porter à ses narines. Le parfum caractéristique la fit sourire. Un paquet de chewing-gum à la chlorophylle ! D'une pichenette, elle ouvrit le rabat de l'autre paquet ; immédiatement, une odeur forte et entêtante s'en échappa. Du tabac ! Des cigarettes ! À tous les coups, il y avait un briquet à l'intérieur, cause du bruit qu'elle avait entendu en le secouant. Elle pourrait s'éclairer... Mais elle ne trouva qu'un objet rectangulaire, trop large pour être un briquet. Intriguée, elle le palpa. C'était lisse et il y avait des renfoncements sur l'une des faces. Quand elle passait le pouce dessus, elle sentait une forme circulaire. Il y avait en tout quatre dépressions disposées en croix, une petite grille fine et un carré plus lisse que le reste.

Un petit écran et un micro ! Sûrement un lecteur mp3 ou mp4 ! Avec un peu de chance, la batterie ou les piles fonctionnaient encore...

Alyssandra essaya de l'allumer dans l'espoir que l'écran lui donne un peu de lumière, mais à la place de la lueur bleutée tant espérée, elle eut la surprise d'entendre une voix grave s'élever de l'appareil. Pour ne pas risquer d'attirer l'attention des terroristes, elle l'éteignit immédiatement. Ce n'était pas un baladeur, mais un enregistreur numérique. Que faisait cet homme avec un dictaphone ? Et pourquoi les shebabs le lui avaient-ils laissé ? Ils avaient bien dû le fouiller pourtant ! À moins qu'ils n'aient pas touché au paquet de cigarettes ? Le mieux était d'attendre qu'il reprenne conscience pour lui demander son identité.

En attendant, elle pouvait peut-être essayer d'évaluer son état. Elle chercha son visage en tâtonnant, effleura sa gorge, son menton. Son cou était humide et légèrement collant. Il portait une barbe de quelques jours, rêche au toucher. Il avait été sévèrement battu. Elle trouva des aspérités sur son visage qu'elle identifia comme des croûtes de sang séché. Il avait des ecchymoses importantes au niveau de la mâchoire et des pommettes, sa bouche était gonflée, ses lèvres abîmées et il devait avoir l'arcade sourcilière ouverte, car tout le côté droit de son visage était encore poisseux de sang. Cela expliquait l'odeur métallique qui lui emplissait les narines depuis quelques minutes. Apparemment, l'homme avait eu droit à un passage à tabac bien plus musclé qu'elle.

Alyssandra était une excellente observatrice. Cela faisait partie des qualités essentielles pour son travail de physionomiste. Frustrée de ne pas arriver à se faire une représentation de l'homme étendu sur le sol, elle maudit une fois de plus les ténèbres qui les entouraient. Décidée, malgré tout, à en savoir un peu plus sur son codétenu, elle se plaça à ses pieds et tira doucement sur sa chaussure pour lui faire tendre la jambe. Ensuite, avec ses mains, elle prit des mesures en remontant le long de son corps, jusqu'au sommet de sa tête. Elle fit de même pour estimer la largeur de son torse et de son bassin. Satisfaite de ses mesures, elle s'assit sur ses talons et calcula rapidement sa taille, comprise selon elle entre 1,85 m et 1,90 m. Compte tenu de son gabarit, il devait peser approximativement 90 kg. Musclé, il devait être très sportif et en bonne condition physique avant sa capture. Elle était encline à penser qu'il s'agissait d'un militaire, mais l'absence de dog tags réduisait à néant cette possibilité.

Peut-être un retraité de l'armée ? Impossible de deviner son âge, mais c'était envisageable. Les sociétés de sécurité employaient beaucoup d'anciens soldats. Les quatre hommes qui assuraient la sécurité de Kelsey étaient eux-mêmes d'anciens Marines et avaient moins de quarante ans. La question était de savoir ce que cet inconnu faisait ici ? Où avait-il été capturé ? Depuis combien de temps ? Pour quelle raison ? Et que faisait-il au moment de son enlèvement ?

Mais il s'agissait peut-être d'un piège. Dans ce cas, cet homme était chargéde lui soutirer des informations après l'avoir mise en confiance. Il fallait qu'elle reste sur ses gardes.


Dog tags : plaques militaires portées autour du cou

Unité d'élite [Editions BMR Hachette - mars 2018]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant