8. Torture (version éditée)

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Les pas lourds se rapprochaient et Woody se raidit. Ces fumiers revenaient et il ne croyait pas un seul instant que c'était pour leur donner du rab en bouffe. Bon sang ! Pourvu qu'ils ne s'en prennent pas à Jessi ! Putain, il ne supporterait pas d'assister à ça sans rien faire !

Quand la porte s'ouvrit, une lumière puissante l'aveugla. Instinctivement, il leva la main pour protéger ses yeux. Mais la torche balaya l'espace et s'arrêta sur la paroi en face, illuminant une forme recroquevillée sur elle-même. Encore ébloui, Woody n'eut que le temps d'apercevoir un pantalon cargo beige avant qu'un des geôliers ne se place devant lui. L'homme hurla en somali « Taagan, naag ! Debout, femme ! » en donnant deux coups de pied dans les jambes de sa victime, puis il se pencha et releva brutalement Alyssandra en continuant de l'invectiver.

Sans réfléchir, Woody bondit et se jeta sur l'homme le plus proche, qu'il envoya au sol d'un coup de poing en plein visage. Puis il faucha brutalement les jambes de l'homme qui avait empoigné la jeune femme. Celui-ci poussa un hurlement et lâcha sa torche ; sous le choc, l'ampoule se brisa. L'Américain n'eut pas le temps de se réjouir, car deux autres shebabs se précipitèrent dans la cellule. L'un d'eux le frappa aux jambes avec un bâton, ce qui le fit tomber à genoux sur le sol avec un grognement. Il sentit une violente douleur à l'arrière de son crâne et vit des points blancs scintiller sous ses paupières. Avant de perdre connaissance, il entendit la jeune femme gémir :

— Oh non ! Il ne fallait pas bouger, idiot !

Les terroristes empoignèrent le jeune homme par les bras et tirèrent son corps hors de la cellule. Grâce à la lueur qui éclairait le couloir, Alyssandra eut le temps d'apercevoir le dos du journaliste et ses jambes qui traînaient sur le sol. Elle ne put voir sa tête, mais cette vision fugitive confirma que Woody était grand et plutôt large d'épaules. Il était vêtu d'une tenue paramilitaire, rangers, pantalon cargo et gilet multipoches. Comme la quasi-totalité des reporters de guerre. Rien d'extraordinaire, en somme.

Alyssandra se leva et commença à marcher de long en large. Elle marchait droit devant elle, touchait le mur puis se retournait et revenait sur ses pas jusqu'à la paroi opposée. Puis elle fit de même entre les deux autres murs, porte... mur, mur... porte, porte... mur, mur... porte et ainsi de suite. S'activer l'empêchait de trop se morfondre en attendant le retour de Woody. Elle détestait attendre, et elle haïssait ce silence qui l'enveloppait et l'oppressait. Elle l'avait à peu près supporté avant l'arrivée de son codétenu. Elle en était même arrivée à l'apprécier, car au moins, il signifiait que ses geôliers ne se livraient pas à des exactions dans les cellules voisines. Mais maintenant, la présence sonore du journaliste lui manquait. Tout comme sa présence physique. Cela pouvait paraître idiot, mais même quand il ne parlait pas, quand il restait silencieux de longs moments, elle ne se sentait pas seule. Cet inconnu impactait son état émotionnel. Rien que d'entendre le souffle régulier de sa respiration suffisait à apaiser ses nerfs malmenés. Et, quand il était auprès d'elle, elle se sentait protégée.

Bon sang, que se passait-il ? Qu'est-ce que ces ordures étaient en train de lui faire subir ?

De guerre lasse, elle se laissa tomber sur le sol, entoura ses jambes de ses bras et commença à se balancer doucement pour tenter de calmer sa nervosité croissante. Petit à petit, elle commença à somnoler puis elle glissa dans l'oubli bienheureux du sommeil.

Lorsqu'elle se réveilla, un peu plus tard, tout lui revint en mémoire. Cela faisait maintenant longtemps que les shebabs avaient emmené Woody inconscient. Elle était inquiète, très inquiète. Elle ne comprenait toujours pas pourquoi il s'était jeté sur les terroristes. C'était stupide de sa part. Stupide et suicidaire... Les shebabs étaient venus pour elle. S'il lui avait obéi, s'il n'avait pas bougé comme elle le lui avait ordonné, ils l'auraient laissé tranquille. Pourquoi avait-il attaqué leurs geôliers ?

Alors qu'elle s'interrogeait toujours, elle entendit du mouvement dans le couloir. Les shebabs revenaient, traînant quelque chose de lourd. Woody ? Pourvu que ce soit lui et qu'il soit toujours en vie ! Quand elle entendit que l'on déverrouillait la porte, Alyssandra se recroquevilla, la tête sur les genoux, pour éviter d'attirer l'attention sur elle. Attentive au moindre son, la jeune femme resta prostrée, le cœur battant. Elle entendit le bruit d'un corps que l'on traîne et que l'on lâche, puis de nouveau le claquement du verrou et les pas lourds qui s'éloignent. Dès que le silence revint dans le couloir, elle se précipita vers le centre de la pièce :

— Woody ? Woody ? Répondez-moi !

N'obtenant aucune réponse, elle chercha le journaliste à tâtons. Elle toucha son pantalon et remonta fébrilement vers sa tête en continuant de l'appeler. Le haut de sa chemise et ses cheveux étaient glacés et mouillés. Que lui avaient-ils fait ? La blessure devait être importante. Une hémorragie ?

Comme il ne répondait pas, elle chercha son pouls. Il était à plat ventre et elle n'osait pas le retourner sans connaître l'étendue de ces blessures. Fébrilement, elle posa son index et son majeur sur son cou et attendit. Rien ! Elle ne sentait rien sous ses doigts ! Ce n'était pas possible ! Alyssandra connut un instant de panique intense et recommença à guetter une pulsation. Enfin, elle sentit un battement infime sous ses doigts et simultanément entendit un faible bruit entre le gargouillis et le sifflement. Un son extrêmement ténu, mais qui la fit frissonner. Il était vivant !

Un peu rassurée, la jeune femme entreprit d'explorer sa tête. Avec douceur, elle chercha une blessure et trouva une lésion à l'arrière de son crâne, mais la plaie ne semblait pas assez importante pour provoquer une hémorragie. Pas de plaie béante, pas d'odeur métallique prononcée, pas de liquide poisseux sous ses doigts... Ce n'était pas du sang ! Ils avaient dû lui balancer un seau d'eau pour le tirer de son inconscience. Elle allait devoir faire très attention en le retournant, ses côtes avaient dû prendre cher une fois de plus ! D'ailleurs, sa respiration était difficile et laborieuse.

Quand elle entendit de nouveau le bruit étrange, entre sifflement et gargouillis, la vérité apparut à Alyssandra. Ces connards lui avaient fait subir des séances de waterboarding ! Comment n'y avait-elle pas pensé plus tôt ? Elle connaissait pourtant cette technique de torture par l'eau !Le gouvernement américain n'était plus censé utiliser cette méthode lors des interrogatoires, mais il l'avait fait par le passé. Elle se rappelait que certains renseignements importants lors de la traque de Ben Laden avaient étéobtenus de cette manière. Du moins, c'est ce qu'il se murmurait dans certains couloirs de la CIA. Le waterboarding était un simulacre de noyade qui consistait à allonger la victime sur une planche inclinée, la tête légèrement plus basse que les pieds. On lui enveloppait ensuite la tête avec une serviette et on versait de l'eau dessus.Inévitablement, les réflexes de suffocation s'enclenchaient. Techniquement, dans des mains expertes, il était impossible de périr noyé, car les poumons se trouvent plus haut que le nez dans cette position, mais la sensation n'en restait pas moins horrible. On étouffait, on suffoquait, on avait vraiment l'impression de se noyer. Alyssandra frémit d'horreur. Combien de fois le reporter avait-il subi cette torture ? Et pourquoi ?Quels renseignements les shebabs voulaient-ils obtenir de lui ?    

Unité d'élite [Editions BMR Hachette - mars 2018]Where stories live. Discover now