12. S'il vous plaît (version éditée)

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Les deux prisonniers avaient été tirés de leur somnolence par du bruit dans le couloir. Ils avaient craint une nouvelle incursion des shebabs dans leur cellule mais, à leur grand soulagement, leurs geôliers n'avaient ouvert la porte que pour leur jeter de la nourriture. Alyssandra avait partagé les vivres en deux et avait incité le journaliste à manger et à boire un peu pour reprendre des forces. Il lui avait fallu un certain temps pour que son corps évacue la décharge d'adrénaline provoquée par l'arrivée de leurs gardiens. Persuadée qu'ils venaient pour elle, elle avait essayé de se préparer à l'idée d'être torturée à son tour.

Depuis lors, elle n'avait cessé de réfléchir à sa situation et une idée lancinante lui occupait l'esprit. Même en essayant de rester positive, elle ne voyait pas comment elle pouvait espérer être secourue rapidement. Le père de Kelsey avait dû avertir l'ambassade, mais vu qu'aucune des filles ne portait de traceur et que leurs portables avaient été désactivés, il y avait peu de chance qu'elles aient pu être localisées. La CIA n'allait donc pouvoir compter que sur ses techniques habituelles d'investigation sur le terrain. Autant dire que cela risquait de prendre un certain temps ! Et plus le temps passait, plus ses chances d'être libérée avant qu'il ne soit trop tard s'amenuisaient. La dernière fois, elle n'avait été sauvée que par la diversion provoquée par le journaliste. Et elle refusait de finir comme ça, violée et torturée par les shebabs. Elle refusait d'endurer le traitement qu'ils comptaient lui infliger. Tout valait mieux que ça ! Même la mort était préférable à cette longue agonie du corps et de l'esprit. Elle ne prenait pas cette décision de gaieté de cœur, oh non ! Cela allait à l'encontre de ses convictions, mais elle préférait rester maîtresse de son destin. C'était à elle de décider de son heure. Pas à eux.

Ayant pris sa décision, la jeune femme s'approcha du journaliste qui somnolait à côté d'elle. Doucement, elle lui secoua l'épaule en l'appelant :

— Woody ? Woody ? Je voudrais vous demander un service.

Intrigué, il se redressa et demanda :

— Lequel ?

— Je sais que ce que je vais vous demander risque de vous paraître surprenant, voire même pénible, mais...

— Si je le peux, je ferai tout ce que vous voudrez, Jessi.

— C'est un peu inhabituel et...

— Arrêtez de tourner autour du pot. Qu'est-ce que vous voulez ?

— Promettez-moi que vous ne me traiterez pas de folle !

— Allez ! Accouchez, Jessi ! Pas la peine de faire des manières. On n'en est plus à ce stade depuis longtemps, non ?

— Promettez-le-moi !

Woody soupira, puis finit par obtempérer.

— Promis, Jessi !

Alyssandra se rapprocha de lui, passa son bras autour de son cou pour le rapprocher d'elle et lui murmura quelque chose à l'oreille. Woody ne put réprimer un mouvement de recul.

— Vous plaisantez ?

— Non, pas du tout, répondit Alyssandra d'une petite voix.

— Mais comment... ?

— Vous avez besoin que je vous fasse un dessin, peut-être ? Vous êtes idiot ou vous le faites exprès ?

— Ne le prenez pas mal, Jessi ! C'est simplement que je suis... surpris. C'est... plutôt inhabituel d'entendre une telle demande de la part d'une femme de votre âge, surtout dans ce genre de situation. Vous êtes sûre que ce n'est pas un peu... extrême ?

— Je ne me fais pas d'illusion, je sais ce qui m'attend. Je ne suis pas stupide !

— Je n'ai jamais dit ça ! Mais on dirait que pour vous il n'y a plus d'espoir ! Il faut continuer à espérer, Jessi ! On va venir nous délivrer, j'en suis certain.

— Non, il sera trop tard pour moi. La prochaine fois que cette porte s'ouvrira, ce sera mon tour. Plutôt mourir que de les laisser me détruire : je veux rester maîtresse de mon destin. Je veux pouvoir choisir.

Le reporter était tellement perturbé par sa demande qu'il en avait perdu toute sa verve.

— Mais enfin, Jessi, c'est... c'est vraiment...

— Je sais que ce que je vous demande est difficile, mais c'est important pour moi.

— C'est une décision extrême, Jessi.

— Tout comme la situation dans laquelle nous sommes.

— Je... je ne sais pas... Je me sens mal de devoir...

— S'il vous plaît !

— Je... Vous êtes sûre de vous ?

— Oui. Ce n'est pas ce que j'espérais, mais je n'ai pas d'autre choix, murmura la jeune femme.

— On a toujours le choix, Jessi !

— Alors, disons que j'ai choisi de le faire à ma manière et pas à la leur. Je ne veux pas leur laisser cette satisfaction.

Sentant une fêlure dans la voix de la jeune femme, le reporter tendit les mains et enserra doucement son visage. Des pouces, il lui caressa les joues et effleura ses yeux. Les cils de la jeune femme étaient humides. Elle avait pleuré. Ça lui tordait l'estomac. Lui-même, il ne supportait pas l'idée de ce qui allait probablement se passer avec les shebabs. Il imaginait ce qu'elle devait éprouver pour aller à l'encontre de ses convictions et lui demander... cela.

Avec douceur, il essaya de lui faire entendre raison et de lui redonner espoir.

— Nous serons peut-être libérés avant d'en arriver là. Y avez-vous réfléchi ?

— Oh oui ! Croyez-moi, Woody, je ne fais que ça depuis des heures, réfléchir !

— On peut peut-être tenir encore deux ou trois jours, et d'ici là nous pouvons très bien être libérés. Je vous aiderai à gagner du temps.

— Il est hors de question que vous vous sacrifiez encore une fois pour détourner leur attention. Vous m'entendez ? Je ne vous laisserai pas faire !

— Ne prenez pas une décision que vous allez immédiatement regretter, Jessi !

— Je ne le regretterai pas.

— Si, Jessi ! À l'instant même où ça arrivera, vous le regretterez mais il sera trop tard.

— Ma décision est déjà prise, j'ai juste besoin de votre coopération. S'il vous plaît, Woody... Je ne peux le demander qu'à vous.

— Je ne suis pas sûr que...

— Vous craignez de ne pas y arriver ?

— La question n'est pas là. Il ne s'agit pas de savoir si je suis apte à le faire ou pas. Il s'agit de vous, Jessi, de votre vie.

— Justement ! Je préfère mourir que subir ça. Je ne veux pas les laisser me détruire jour après jour.

— Si je cède à votre demande, il n'y aura pas de retour en arrière possible.

— Au diable vos scrupules ! J'ai besoin de votre aide, Woody !

Le journaliste resta silencieux quelques minutes, ce qui fit monter d'un cran l'angoisse d'Alyssandra.

— Je vous en prie...

— Jessi... Je ne crois pas que...

Ses hésitations et ses réticences étaient louables mais n'avaient pas lieu d'être. Il devait impérativement accéder à sa demande, à sa dernière volonté. S'il fallait supplier pour le faire céder, elle était prête à le faire.

— Je vous en supplie, Woody ! Sinon ça va être une descente aux enfers pour moi !

— Je... c'est d'accord !

— Merci !



Unité d'élite [Editions BMR Hachette - mars 2018]Where stories live. Discover now