3. Faisons connaissance (version éditée)

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Pendant que la jeune femme réfléchissait, sa vigilance s'était relâchée, de sorte qu'elle ne se rendit pas immédiatement compte du changement de rythme dans la respiration de l'inconnu. Quand elle s'en aperçut, elle voulut ôter la main qu'elle avait posée sur son bras et reculer, mais elle n'en eut pas le temps. L'homme l'attrapa et la fit basculer sur le côté, tentant de l'immobiliser au sol en écrasant sa gorge avec son avant-bras. D'une voix menaçante, il questionna :

— Que veux-tu ?

Alyssandra ne perdit pas de temps à répondre. Elle glissa son bras gauche entre eux et le repoussa sans trop de peine en enfonçant son majeur et son index raidis dans sa cage thoracique. L'homme gémit sourdement et roula sur lui-même pour s'éloigner d'elle. À sa respiration laborieuse, elle avait compris que les shebabs avaient fait des dégâts sur ses côtes et elle avait exploité son point faible, comme son père le lui avait appris quand, à l'adolescence, il avait décidé de lui inculquer les bases de l'autodéfense.

Une fois libérée du poids de l'inconnu, la jeune Américaine se tassa contre le mur, à l'affût du moindre son, du moindre bruissement. Ramassée sur elle-même, elle se tenait prête à détendre brusquement les jambes pour faucher l'inconnu au cas où il l'attaquerait encore. Mais elle n'eut pas besoin de se défendre. L'homme resta quelques secondes sans bouger, puis elle l'entendit ramper. Aux bruits de frottement de ses vêtements, elle comprit qu'il mettait de la distance entre eux. Elle tressaillit quand elle l'entendit marmonner :

— Merde, une femme !

Alyssandra grimaça. Il avait compris qu'il avait affaire à une femme. Il pouvait donc être tenté d'utiliser sa force contre elle, mais il risquait aussi de la sous-estimer... Elle devait le laisser prendre l'initiative pour pouvoir réagir en conséquence.

Les deux captifs restèrent ainsi dans le noir et le silence pendant de très longues minutes. Au bout d'un moment, l'homme s'adressa à elle :

— Qui êtes-vous ? Que faites-vous ici ?

— Et vous ?

— Pourquoi ne me répondez-vous pas ?

— Pourquoi devrais-je vous répondre ?

— Nous nous retrouvons tous les deux dans une prison au fin fond de je ne sais quel bled de Somalie et vous préférez qu'on reste là à se regarder en chiens de faïence ?

La surprise, mais aussi une touche d'énervement étaient perceptibles dans la voix de l'inconnu.

— Vu l'obscurité qui règne ici, nous aurions du mal à nous regarder. Vous ne croyez pas ?

— Bordel, c'est bien ma veine ! Il a fallu que je tombe sur une pimbêche qui essaie de faire de l'humour ! maugréa l'homme.

— Vous vous prenez pour qui ? Qu'est-ce qui vous donne le droit de m'insulter ?

— Désolé, je ne voulais pas vous insulter. C'est votre faute ! Si vous ne faisiez pas la snob et me répondiez quand je vous parle, nous n'en serions pas là !

— On ne se connaît pas et je devrais vous faire la conversation ?

— Je ne vous comprends pas ! Nous sommes tous les deux prisonniers dans ce trou infâme et vous ne voulez pas qu'on essaie de s'entraider ?

Sous l'effet de l'énervement et probablement de ses blessures, la respiration de l'homme devenait sifflante et Alyssandra préféra calmer le jeu.

— Dites-moi qui vous êtes et je vous répondrai.

— C'est comme ça, alors ? Vous voulez qu'on fasse les présentations comme si on prenait le thé dans un salon ?

— Je n'aime pas le thé.

La réponse de la jeune femme était tellement inattendue que l'inconnu ne put retenir un éclat de rire qui se transforma aussitôt en gémissement.

— Je veux savoir qui vous êtes et comment vous vous êtes retrouvé ici, insista-t-elle.

— Qu'est-ce qui me dit que je peux avoir confiance en vous ? demanda l'homme, une pointe de méfiance dans la voix.

— Rien ! Et c'est valable pour moi également. Vous n'avez rien fait qui puisse m'inciter à vous faire confiance. Vous pourriez aussi bien être un shebab !

— Que faut-il que je fasse pour vous prouver ma bonne foi ?

— Me dire ce que vous faites ici, pour commencer.

— J'ai été capturé avec trois autres journalistes. Voilà, vous êtes contente ?

— Vous êtes journaliste ?

— Reporter de guerre.

— Voilà qui explique le dictaphone et le carnet, je suppose.

— Vous m'avez fouillé ?

— Désolée, mais je voulais savoir à qui j'avais affaire.

— J'en aurais fait autant, je pense. Je ne vous en veux pas. Maintenant, à votre tour ! Comment vous appelez vous ?

Alyssandra réfléchit quelques secondes. Elle ne pouvait pas lui donner son nom complet. En revanche, elle ne risquait rien à lui livrer le raccourci de son patronyme. L'héritière Ewing avait sûrement déjà vendu la mèche si les shebabs l'avaient interrogée. Mais cela n'avait aucune importance, car Kelsey elle-même, en véritable enfant gâtée, ne s'était jamais intéressée à son personnel et elle ne lui avait donc jamais demandé son état civil complet, ni même simplement son prénom.

— Tout le monde m'appelle Jessi.

— Jessi ? C'est un diminutif pour Jessica ? Jessina ? Jessimae ? Jessalyn ?

— Jessi, tout simplement !

Le journaliste laissa passer quelques secondes avant de reprendre :

— Jessi ?

— Oui ?

— On vous a déjà dit que vous aviez un foutu caractère ?

— Mon père s'est chargé de me le forger. Si vous avez une plainte à formuler, allez déposer une réclamation auprès de lui. Mais je ne vous le conseille pas !

— Pourquoi ?

— Son caractère est encore pire que le mien. Ce serait à vos risques et périls.

L'homme tenta en vain d'étouffer son rire. Son gémissement de douleur toucha Alyssandra qui sentit sa méfiance refluer. Il souffrait trop pour être un leurre. Cet homme était un prisonnier tout comme elle.

— Si ça peut vous consoler, il y a au moins un avantage à votre caractère... Vous n'êtes pas en train de pleurnicher, c'est déjà ça !

Alyssandra gloussa involontairement. Comment pouvaient-ils plaisanter dans la situation dans laquelle ils se trouvaient ? Surtout qu'ils ne se connaissaient même pas ! C'était sans doute un moyen comme un autre d'évacuer la tension nerveuse.

— À vous maintenant ! Quel est votre nom, monsieur le reporter de guerre ?

— Woody.

Unité d'élite [Editions BMR Hachette - mars 2018]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant