Texte 4 : Anorexie

22 1 0
                                    

« Tu sais, je te comprends »

« Arrête. Arrête de dire que tu comprends. Tu n'en sais rien, tu ne l'as jamais vécu. Tu ne sais pas ce que ça fait que de devoir se retenir de manger.Voir cette nourriture te narguer, la voir comme ton ennemi envers qui tu ne dois pas craquer. Te retenir jusqu'au jour tu finis par te laisser aller. Manger, manger tout ce qui passe sous ton nez. Manger encore et encore. Pas par plaisir, ni par envie non. Tu le fais sans vraiment savoir pourquoi. Ca te fais du bien. C'est la seule chose qui te le permet. Et des heures plus tard tu finis par arriver à t'arrêter, regardant dans ces toilettes le vomi que tu as laissé.

Et là vient le pire moment. La culpabilité. Toi tu es parfaite, tu ne sais pas ce que ça fait que de ne plus pouvoir te regarder dans le miroir, ton propre reflet te donnant la nausée. Tu te vois grosse, énorme, obèse. Tu te dégoûtes tellement.

Alors le lendemain tu décides à nouveau de ne plus manger. A chaque repas que tu loupes tu te sens de mieux en mieux, ayant le sentiment que tu as maigris. C'est là que tu commences à établir des techniques pour te priver en secret, afin que tes amis ne soient pas alertés. C'est ton quotidien, mais tu te sens enfin bien. A la fin, rien que l'idée de manger te terrorise, rien que l'idée de ne prendre qu'un gramme te paralyse. Les malaises commencent, mais tu t'en fou. Tu te trouves toujours énorme, même si tes amis te disent le contraire. Car toi, le soir tu te trouves toujours aussi grosse devant ce miroir. Tu as de plus en plus froid, tes habits deviennent vite beaucoup trop grands, tu es de plus en plus faible, de plus en plus maigre, de plus en plus proche de la mort. Tes amis se font du soucis pour toi, ils te poussent à manger. «Juste une fourchette » disent-ils. Mais rien à faire. Manger te semble impossible. Cette boule au fond de ta gorge est toujours là.

Et un jour.... tout s'arrête. Tu t 'évanouis sous les yeux impuissants de tes amis. Mais cette fois ci, tu ne te réveilles pas. Tu restes au sol, figée, tes amis au dessus de toi inquiets et n'attendant que l'arrivé des pompiers. 2 jours plus tard tu finis enfin par reprendre connaissance. Une chambre blanche, vide, un lit, un lavabo et une douche. Sans personne autour de toi, tu es seule.

Et puis quelqu'un vient. Une dame. Ou un monsieur ça dépend. Il parle il parle. Que dit-il ? Ce que tout le monde te disait. Tu as une maladie appelé « anorexie ». Tu es ici pour réfléchir, te re nourrir afin d'éviter de mourir. Mais comment en es tu arrivé à là ? « je voulais juste maigrir et m'aimer » te dis-tu. Remanger signifierai des efforts inutiles. Tous ces plats pour rien, et puis, cette boule est toujours là. Mais si tu ne manges pas, tu mourras.

Alors tu fais l'effort de te nourrir. C'est putain de dur. Mais tu le fais. Tu passes tes journées à t'ennuyer, sans télé, sans visites, sans portable, seule dans ta chambre vide.

Tu finis par sortir. Ton entourage fait mine de rien, mais toi tu le sais. Tu sens leur regard te juger. Partout où tu vas tout le monde sait. « la fille anorexique » voilà comment ils te renomment tous. Tu désespères regrettant presque la première fourchette de ta rémission.

Et un jour quelqu'un arrive un beau matin, l'air de rien. Elle n'était pas nouvelle, mais jamais tu ne l'avais repéré. Vous apprenez à faire connaissance. Et un midi, elle s'assoit à côté de toi. Incrédule, tu la laisse faire mais redoutant ce fameux moment. Mais non, elle ne dit rien. Cette fille continue à rigoler avec toi, peut-être n'avait t elle rien remarqué. Une semaine passa, puis deux puis trois. Et elle était toujours là. Plusieurs mois plus tard tu te décides enfin à lui dire. « Je suis anorexique. Voilà mon secret. Au lycée tout le monde le sait. Je suis cette fille dingue qui a essayé de se tuer parce qu'elle ne s'acceptait pas comme elle était. Voilà pourquoi je suis seule. Je comprendrai que tu prennes peur et que tu partes toi aussi. Je ne t'en empêcherai pas. Ce serait ton droit. » Et alors que tu t'attendais à ce qu'elle déguerpisse, elle répondit en souriant« Je sais. Je le sais depuis le début . Tu veux en parler ? »

Non pas vraiment

D'accord. Quand tu seras prête alors. Sinon tu viens toujours à la maison non ?

Et c'est grâce à cette fille que tu te remets petit à petit. Chaque jour elle te fait manger un peu plus. D'abord sa famille et elle te laisse une assiette sur la table, même que tu ne manges rien. Et au fur et à mesure cette fille arrive à te faire manger. Une miette de pain, puis un bout de pain entier. Grâce à elle tu espères à nouveau remanger normalement. Et tout va mieux. La roue a tourné. Tu as gagné.»

La fille... C'est ta copine non ?

Et si on a pas cette personne. Qu'est ce que l'on fait.

On trouve un autre moyen. On le fait pour soit, pour quelqu'un d'autre. C'est dur de s'en sortir si tu savais. Mais ça n'est pas impossible. Arrêter de manger est la pire des façons de maigrir. Et tant qu'il y aura encore des gens pour le penser, l'anorexie ne cessera pas d'exister.

Histoire et texteWhere stories live. Discover now