CHAPITRE 15 : de l'heuffrayé et de l'amour

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Le train filait si vite que malgré ses efforts, Rémus ne pouvait accrocher son regard à aucun détail de l'extérieur. Le paysage se fondait dans un mélange flou de gris et de vert tandis que le garçon se rencognait dans son fauteuil.

« Heureux ?

Il sourit.

« Effrayé, aussi. »

« Heuffrayé ? »

Il laissa échapper un éclat de rire.

« Heuffrayé à cent pour cent. Et toi ? »

Claudine fronça le nez.

« Vide. »

« Vide ? »

« Complètement vide. Mais un bon vide. Un vide coloré. Un vide qui me donne envie de le remplir. »

« Tu n'es pas déjà assez remplie ? »

« Si, mais apparemment je suis plus remplissable que je le pensais. »

« Tu es remplie de quoi ? »

La jeune fille laissa voguer son regard quelques instants, mais Rémus se tut. Il savait qu'elle réfléchissait.

« De beaucoup de choses. Du bon, du mauvais. Du bonvais. Et du neutre. J'en ai vécu, des choses, en trois mois. »

« Au moins, tu sais nommer tes démons. »

« Anorexie. »

« Auto-mutilation. »

« Pensées suicidaires. »

« Rien que ça... »

« Mais j'ai eu de la chance, beaucoup de chance. Je suis tellement chanceuse. »

« De la chance ? »

Sourire rayonnant.

« Toi. »

Rémus s'empourpra et sourit à son tour.

« T'as arrêté de fumer, non ? », dit-il pour détourner la conversation.

« Oui, à l'hosto, j'avais plus le droit, et j'ai fini par me déshabituer. Tu te rends compte, j'ai même pas envie de recommencer. Je suis fière de moi. »

« T'as raison. »

Il y eut un silence qui s'éternisa. Mais Rémus s'en fichait. Ce n'était pas un de ces silences gênés qui parfois s'installent lors d'une conversation. C'était un silence apaisé, le genre de silence qui lie ceux qui ont trouvé leur voie. Ceux qui ont traversé l'enfer et en sont ressortis plus grands. Le garçon se perdit dans le paysage par la fenêtre du train. Claudine avait les yeux fermés et souriait.

Il s'écoula une vingtaine de minutes avant que la jeune fille ne se remette à parler.

« Ça s'est bien passé, avec ta mère ? »

« C'était... spécial. Je ne saurai pas définir. C'était très beau, et horrible. Il aura fallu tant d'années avant qu'on se retrouve. Mais je suis heureux. Et avec tes parents ? »

« Vraiment très drôle. », dit-t-elle avec un gloussement.

« Seulement drôle ? »

« Non, tu as raison. C'était fort aussi, enfin, je crois. C'est marrant, je les ai haïs depuis tant d'années, et maintenant, je ne ressens plus rien à leur égard. Mais Elisabeth va vraiment me manquer. »

« Dis, tu n'as pas envie de ... retrouver tes vrais parents ? »

Claudine se tut et Rémus eut peur, pendant quelques instants, de l'avoir blessée.

le funambuleWhere stories live. Discover now