Prologue

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Les mots ont une puissance que beaucoup trop de gens mésestiment. Seulement trois ont suffi à donner un tout autre sens à la vie que je menais alors, et à ce que j'espérais la voir devenir.

Ce n'était pas un doux « Je t'aime. » susurré au creux de l'oreille, ni même un tendre « Bisou, mon cœur ! » glissé au moment de partir au boulot. Loin de là.

Cela a commencé par un jovial et excité :

— Je suis enceinte !

Joshua, mon fiancé, a manqué de s'étouffer avant de recracher son café.

Puis, il s'est écrié :

— C'est impossible !

Toujours trois mots. Impitoyable loi des séries.

J'ai levé un sourcil, et sa réaction alarmée et décomposée m'a fait l'effet d'une douche froide. Je me suis retenue de lui rappeler que contrairement à ce qu'il laissait entendre, ma grossesse n'avait rien d'étonnant. C'est vrai quoi, nous ne passions pas nos nuits à jouer aux dominos ! On avait évoqué maintes fois l'idée d'avoir un enfant ensemble, et c'est la raison pour laquelle je ne prenais plus la pilule depuis six mois, chose qu'il n'ignorait pas.

J'ai pris sur moi pour garder mon calme pendant que je lui rappelais tout cela.

Ce à quoi il a riposté avec véhémence :

— Mais je ne pensais pas que ça pouvait arriver si vite ! J'ai un boulot de dingue en ce moment au bureau, ça ne pouvait pas tomber plus mal. Tu ne vois donc pas dans quelle situation impossible tu me mets ?

— PARDON ?!

Je n'en revenais pas. Où était passé le Josh tendre et attentionné qui m'avait fait craquer des années plus tôt ? Qui était cet homme égoïste et carriériste, cet usurpateur, qui se tenait devant moi ce matin-là, et qui me broyait le cœur ?

Certes, entre Joshua et moi, les liens s'étaient un peu distendus au cours de cette dernière année, mais j'avais imaginé que le fait de planifier de fonder une famille ensemble signifiait que les choses allaient retourner à la normale.

Ce que j'avais pu être naïve ! J'avais été une enfant candide (disposée à croire au Père Noël et à la fée des dents jusqu'à un âge inavouable), et j'étais devenue une adulte crédule, incapable de voir la face sombre qui se cache en chacun de nous. Pour moi, tout le monde était beau, tout le monde était gentil. Du moins, jusqu'à cet instant.

Alors que Josh s'était levé de table et m'adressait mille et un reproches, tout en m'exposant une liste d'arguments visant à me faire comprendre que ce n'était « vraiment pas le bon moment » pour avoir un bébé, je lui intimais l'ordre de se taire. Cela ne parut pas le déstabiliser le moins du monde, car il en remit une couche en me posant une colle :

— Sais-tu seulement combien de temps ma mère a attendu avant de m'avoir ?

Sa mère ? Mais que venait-elle faire dans cette histoire ? Je n'en avais rien à faire ! D'autant plus que cette chère Marie-Adélaïde ne m'avait jamais acceptée, et ne manquait aucune occasion pour tenter de présenter à son fils des femmes plus « convenables ». À croire que ma jovialité faisait tache au milieu de tous les visages crispés qui composaient cette famille ! Car oui, ne parlons pas de mon beau-père, aussi chaleureux qu'un glaçon, et aussi loquace qu'une statue de cire. Même leur yorkshire, Olga, a un air hautain !

Lorsqu'il vit que je ne répondais rien, Joshua (qui marchait en gesticulant comme un pantin désarticulé) s'exclama alors :

— Douze ans ! Oui, elle a patienté douze années avant que mon père ne soit prêt à fonder un foyer !

On aurait dit qu'il était prêt à lui décerner une médaille pour cela. Je me demandais si mon adorable fiancé était au courant d'une chose merveilleuse nommée « la ménopause » ?

Certes, nous étions encore jeunes, et nous avions suffisamment de temps devant nous pour créer notre petite famille, mais encore aurait-il fallu qu'il se montre clair à ce sujet dès le départ ! Maintenant que j'étais enceinte, ce bébé n'allait pas disparaître comme par magie.

— Si tu ne voulais pas d'enfant, tu aurais peut-être dû me le dire plus tôt ! m'écrié-je, à bout de nerfs.

— Bon sang, mais j'ai accepté pour que tu me fiches la paix ! Je pensais que cette lubie de maternité te passerait tôt ou tard. Quoi qu'il en soit, je te le dis maintenant : je ne veux pas devenir père. Je vais même être plus clair que ça, Romane : ce sera ce bébé ou moi. Lui, ou nous.

C'en était trop. Comment pouvait-il oser me poser un tel ultimatum ? C'était inhumain.

Alors qu'il continuait à m'invectiver, je lui demandais de bien vouloir la mettre en veilleuse.

Cette fois, il obéit et parut choqué, mais je ne l'étais pas moins de voir la façon ignoble dont il réagissait face à ce que j'avais cru être une bonne nouvelle.

Or, il devenait clair qu'il n'était guère enchanté par cette grossesse.

Et c'est ainsi que du haut de mes vingt-cinq ans, je me retrouvais à sonner chez ma meilleure amie, Louisane, à dix heures du matin, avec deux valises à la main et le cœur en morceaux.

J'avais beau avoir réussi à me donner une contenance jusqu'alors, dès que les grands yeux noirs de Lou se posèrent sur moi, je fondis en larmes comme une enfant.

Enfin, je laissais tout exploser : mon chagrin, ma colère, ma déception.

Ma belle histoire d'amour venait de s'effondrer comme un château de cartes. Je savais qu'aucun retour en arrière n'était envisageable. Je me sentais comme un oiseau tombé du nid.

Qu'allait-il m'arriver à présent ?

ImprédictibleWhere stories live. Discover now