En cuisine ?!

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Les premiers jours avec ma fille sont riches en premières fois. Je ne m'attends pas à être parfaite, mais... je fais de mon mieux ! On ne naît pas maman, on le devient.

Lorsque les doutes s'invitent de façon sournoise, un seul regard ou sourire de mon bébé suffit à me rassurer. Ma mère affirme que ces sourires-là sont un réflexe, mais je m'en moque, j'ose croire que Serena exprime ainsi sa joie, son amour.

Près de deux mois après l'accouchement, il m'arrive encore de me réveiller plusieurs fois en pleine nuit ; non seulement pour l'allaiter ou la changer, mais aussi pour m'assurer que tout va bien. Et pendant que je la regarde dormir paisiblement, j'ai peine à croire que ce petit trésor a débarqué dans ma vie, tel un rayon de soleil.

Joshua a totalement ignoré l'annonce de sa naissance, tant pis pour lui, il ne sait pas ce qu'il rate. J'espère simplement qu'il ne le regrettera pas un jour. J'ai appris qu'il sortait désormais avec Prune, la sœur de Clémentine (leurs parents devaient être très axés fruits). C'est sûr qu'avec elle, il n'aura pas à s'inquiéter : elle a toujours clamé haut et fort ne pas vouloir d'enfants, car « ça déforme le corps, ça fait du bruit, et ça salit tout ». Autant que ces deux-là ne se reproduisent pas.

Cet après-midi, alors que je rentre d'une visite chez le pédiatre, je retrouve Lou et Marc dans le salon.

— Alors ? Comment ça s'est passé ? me demande ma meilleure amie.

— Très bien. J'ai pu poser toutes les questions que je désirais. J'ai l'honneur de vous annoncer que notre top-modèle junior mesure cinquante-six centimètres et demi, pour quatre kilos huit-cents.

— C'est bien plus qu'un rôti de bœuf. Au four avec des pommes de terre, c'est un délice, rétorque Marc pour me taquiner.

Je fais mine d'éloigner Serena loin de lui et riposte :

— Je me souviendrai de ne JAMAIS te la confier.

Spectatrice de notre échange verbal qui frôle l'absurde, Louisane éclate de rire. En réalité, je sais très bien qu'il blague, Marc est l'un des premiers à se soucier du bien-être de ma fille. Je suis quasi certaine que le jour il aura un enfant, il se transformera aussitôt en papa poule. Cependant, Lou n'est pas du tout pressée de devenir mère. Elle préfère se consacrer aux autres domaines de sa vie avant d'expérimenter la maternité. C'est un choix que je peux comprendre et que je respecte totalement, chacun est libre d'avancer à son propre rythme.

Le départ pour l'Italie approche à grands pas. Serena et moi décollons le mois prochain, en novembre. Tante Fran paraît impatiente de nous voir arriver, et de pouvoir enfin rencontrer le bébé. Elle paraît plus emballée que ma propre mère, qui a estimé que voir la petite en photo était suffisant, puisque : « Nous nous verrons à Noël, si je peux descendre. Sinon, dans le courant de l'année prochaine », a-t-elle dit.

J'ignore donc si elle viendra avant que ma fille ne souffle ses dix-huit bougies. Rien n'est moins sûr. Tout ce que je sais, c'est qu'elle a déjà réfléchi à la façon dont la petite pourra l'appeler quand elle saura parler.

— Pas mamie, et encore moins mémé. Je suis trop jeune.

Elle a rejeté ma proposition de « nonna* » avant de poursuivre :

— J'ai songé que Diane serait parfait. Après tout, c'est mon prénom, il est à la fois élégant et intemporel, comme moi !

J'avoue que j'ai dû me mordre très fort les joues pour ne pas éclater de rire au téléphone. Ma mère est largement plus susceptible que modeste ! Avec mon père, nous aimions parier sur ce qui la ferait ou non partir au quart de tour. C'était devenu un jeu entre nous, car mieux valait rire de ce trait de caractère, plutôt que de se fâcher.

Nous étions si complices, papa et moi ! Son décès brutal m'a beaucoup affectée, j'ai cru ne jamais m'en remettre. Le temps n'a pas complètement effacé mon chagrin ni le manque que j'éprouve depuis sa disparition. Aujourd'hui encore, il y a des événements qui me rappellent encore plus douloureusement son absence : Noël, les anniversaires, la fête des Pères, etc. Et plus récemment, la naissance de Serena. Au contraire de son épouse, il n'aurait pas voulu d'autre titre que celui de « papy ».

Il aurait été si fier du bébé ! De moi aussi, peut-être ? Je ne l'ai jamais su. On s'aimait sans oser se le dire ouvertement, sans doute par pudeur. Je l'ai souvent regretté. On devrait toujours oser dire « je t'aime » aux gens qui comptent pour nous. J'aurais souhaité le faire avant qu'il ne soit trop tard. Mais la vie en a décidé autrement.

C'est Marc qui me sort de ces pensées teintées d'une triste nostalgie et qui menacent de tisser leur toile dans mon esprit. Il est pour moi comme un grand frère, il adore me faire râler.

— Juste pour information, avec le bœuf tu préfères quoi comme sauce ? Aux champignons ou béarnaise ?

Pour toute réponse, je fais mine d'être offusquée, puis après avoir tendu le bébé à Lou, je balance un coussin à la figure de son petit copain. Il feint d'être sonné par le choc, tandis que ma meilleure amie esquisse un sourire en coin tout en levant les yeux au ciel. Je m'exclame :

— Enfin un peu de repos !

— Cela fera plus de mousse au chocolat pour nous, s'il n'est pas en forme pour manger sa portion, ajoute Louisane.

Aussitôt, Marc se relève :

— Quelqu'un a parlé de chocolat ?

Ce mec est un vrai ventre sur pattes, je me demande même comment il réussit à garder la ligne avec tout ce qu'il ingurgite. Devant sa soudaine forme retrouvée, nous éclatons tous de rire.

Ces moments-là vont me manquer. Mes amis ne seront pas à mes côtés lorsque je repartirai à zéro en Italie, et cela m'effraie un peu.

Vais-je réussir à trouver ma place en Toscane ?

👶🍖👶🍖👶

Nonna  : mamie, en italien. 

ImprédictibleWhere stories live. Discover now