Furie limbesque

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Will laissa sa bande d'amis pour aller chercher le sac qu'il avait laissé sous le préau. En se baissant pour le ramasser, il entendit comme une sorte de sanglot étouffé. Dans la pénombre, une forme pliée dans un coin laissait échapper quelques bruits de respiration. Will l'observa de la manière la plus discrète possible. Il ralentit de manière assez soudaine son mouvement et la reconnut. Ou plutôt, il ne la reconnut pas. Elle n'avait pas son air habituel. En même temps, il fallait dire qu'elle était isolée, dans une posture d'animal craintif, en train de pleurer. Elle n'avait pas l'air de très bonne humeur.

La sangle du sac glissa sur l'épaule du jeune garçon. Lorsqu'elle l'avait remarqué, elle avait tenté de réprimer ses épanchements, et le scrutait, attendant qu'il parte. Il essayait de distinguer son visage, voire son corps. Elle était certes dans une position assez étrange mais confortable. Ses yeux devaient briller dans l'obscurité. Ou pas. Elle retroussa ses lèvres, prête à mordre. Le blanc de ses dents ressortait légèrement dans l'ombre. Le sac se stabilisa enfin sur l'épaule de Will. Sa silhouette se mit doucement à pivoter vers celle de la jeune fille.

Will déplaça le poids de son corps sur un pied. Puis sur l'autre. Il avait chaud. Non, froid. La bête qui lui faisait face le défiait de s'avancer. Lentement, très lentement, le sac retrouva sa place initiale par terre. Le héros en lui pointait son nez. La lumière le poussait à avancer depuis un moment déjà, mais il ne se décidait pas à faire le premier pas. Il pouvait très bien reprendre son sac et s'enfuir. Mais il n'était pas un lâche. Il posa un pied devant, dégaina un peu d'assurance et transféra le poids de son corps sur le pied courageux. Son souffle se précisa, profond, réfléchi, résolu. Encore un pas et l'obscurité l'envelopperait tout à fait. Le jeune homme secoua brièvement la tête, tandis qu'il brandissait bravement un air solide et puissant, afin de dégager la voie.

La lumière automatique se déclencha. L'ombre disparut. Plus de cachette que ses mains. Ses doigts filtrèrent un regard ébloui, effrayé. Déboussolée, la biche cessa de respirer. Elle se terra intérieurement au fin fond d'elle-même. Son corps sembla s'enfoncer dans le sol de béton, pressée par cette pureté aveuglante que le chasseur avait invoquée. Réalisant soudain qu'elle ne pouvait s'abriter dessous, elle se pressa contre le mur à qui elle faisait dos, mais obtint le même résultat. Elle tenta de garder son calme et jeta un regard apeuré autour d'elle. A moitié dans le sol, elle ne pouvait décidément pas se lever et fuir. Il lui fallait ou se battre, ou affronter la mort en face.

Will cligna des yeux quelques instants, pour s'accoutumer à la lumière. Tremblante, la jeune fille semblait aspirée par le sol. Maintenant qu'il y voyait, il put aisément faire quelques pas de plus dans sa direction. Il songea à son sac qu'il n'aurait pas dû reposer. Ni même poser. Ou bien à cette fille à laquelle il n'aurait jamais dû s'intéresser. Le jamais est tout de même un peu dur. Et si.. Non. On ne refait pas le monde avec des "et si". Ses genoux se plièrent, comme au ralenti. Il étendit doucement la main vers elle. Vers son épaule, peut-être. Ou son visage, ce qui aurait été assez audacieux. Cependant, il était à présent trop tard pour faire marche arrière.

Elle sentit la menace arriver. Tous ses sens étaient attentifs au moindre détail. Lorsque la main se fit sentir suffisamment proche, elle plissa les yeux, inspira une fine quantité d'air et se lança. Ses dents s'enfoncèrent profondément dans la main de son partenaire pas tellement du même avis. Il secoua tout son corps, plié en deux, à moitié relevé, retenu par sa mâchoire. Quel crampon cette fille ! Il la repoussa alors avec son autre main et elle lâcha prise. Il essuya sa main humide sur son jean et recula en jurant.

Une douleur se fit sentir dans la bouche de la jeune fille. Elle fut rapidement remplacée par une forme de flux intérieur qui chauffait son estomac, et qui se propagea dans l'ensemble de son corps. Elle lécha ses lèvres humides et fit tourner sa tête pour entendre craquer sa colonne vertébrale. Un sourire s'étira sur son visage, puis il chuta, enfin il s'ouvrit et enregistra un large passage d'air. La jeune fille se força à regarder en l'air, histoire de ravaler ce qui troublait sa vision. Le garçon ramassait son sac pour la énième fois, les sourcils furibonds, la main contre la poche, frottant le dos contre son pantalon, histoire d'effacer la marque qu'elle lui avait laissée.

Celle que lui lui avait laissée par contre, était loin de s'effacer. Des personnages typiques, dans un endroit typique, un peu de drame et l'histoire était loin de la tragédie. Pour un individu lambda. Car le tragique ne l'est que par la perception personnelle, c'est à dire qu'il était amplifié dans son coeur, d'une envergure proche de la démesure. Et il commença à s'éloigner, creusant une fosse au sein même du vide, abstraitement chaleureux, qui parcourait son corps et s'en détachait peu à peu.

Et il partit, alors qu'elle restait là, dans la lumière, loin du danger de l'ombre, chacun ayant sa propre raison. 

One-ShotsWhere stories live. Discover now