45. Les autres hommes

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En dehors de ma vie de bureau, j'essayais de chercher un nouveau compagnon.

Julia m'incita à sortir et à rencontrer d'autres hommes. Elle me présenta ses amis, ceux de son mari, elle m'entraîna à des soirées avec de nombreux célibataires. Je rencontrai une foule d'hommes brillants, captivants, tous dignes d'intérêt et qui me renvoyaient une image positive de moi-même.

Mais je m'aperçus vite que ceux qui me plaisaient avaient tous un lien fort avec Hassan : j'étais attirée irrémédiablement par des bruns à la barbe taillé, au regard sombre, qui aimaient prendre les choses en main. C'était un véritable désastre affectif.

       

J'essayais d'en comprendre la raison, cela venait bien sûr de bien plus loin que notre relation, mais le manque affectif et matériel de mon enfance me sautait à présent à la gueule. L'absence de figure paternelle forte, évidemment. On ne peut pas dire que mon père brillait par son autoritarisme, ma mère décidait de tout.

Lorsque je compris que cela me conditionnait à ce point, je me décidai de rester célibataire jusqu'à ce que cela soit un peu plus clair dans ma tête.
C'était très étrange de vivre en célibataire dans une ville où tout le monde cherchait l'amour ou du sexe. Il n'y pas d'endroit dans le monde où cela se passe différemment, mais à New York, j'avais l'impression d'être dans un journal de mode, où les gens étaient tous beaux et charismatiques. Cela m'isolait et me faisait me sentir vaguement coupable.

Pour ne rien améliorer, je ne pouvais m'empêcher de passer du temps à regarder les news sur les chaînes télévision du Keraï.
Car le mariage avait été repoussé de deux mois, au mois de mars, et à cette nouvelle, mon coeur s'était à nouveau emballé.

       

La raison officielle était que l'agenda de Hassan était trop chargé. Le Keraï venait de remporter l'organisation d'une compétition sportive pour deux ans plus tard, et la préparation avait alourdi conséquemment son agenda. Les médias s'en donnaient à coeur joie sur les spéculations.
Je ne savais pas si j'y étais pour quelque chose, mais une chose est sure, je me réjouissais qu'il ne se marie pas tout de suite.

Le pays subissait des changements depuis la nomination de Hassan comme prince héritier. Après un petit temps d'adaptation, Hassan avait pu entamer des réformes importantes avec l'aval de son père. Longtemps laminé par la corruption et les dérives religieuses extrémistes, le Keraï était dans une phase de transition. Son père se retirant lentement du pouvoir, Hassan était devenu la personne la plus puissante du royaume. Il avait su s'emparer des rênes d'un pays meurtri par la perte de son héritier désigné, et s'imposer aux yeux de tous. Sa légitimité ne faisait aucun doute à présent. Le pays plaçait beaucoup d'espoir en ce jeune futur roi, beau, dynamique et qui allait mener le pays loin. Tous les yeux étaient tournés vers lui. La pression était énorme.

       

J'étais un peu inquiète, je me demandais si un jour il prendrait peur en se souvenant de moi, en se disant que je possédai des informations sur lui. J'essayais d'éloigner ces pensées car je me pensais de toutes façons à l'abri. Je n'avais aucune photographie, même sur mon téléphone portable. La seule chose que j'avais était cette boîte, avec des objets. Et le téléphone éteint, qui dormait dans un tiroir de mon nouvel appartement avec son chargeur. Le téléphone était déchargé, et je ne l'avais pas rechargé depuis mon arrivée à New York. Il n'y avait pas de photos compromettantes de paparazzis, pas d'indiscrétions possibles. Pas de preuve. Seule madame Catherine pouvait constituer une éventuelle menace, mais Hassan avait misé sur l'épouvantable publicité que cela lui ferait sur son manque de discrétion.

       

Je pensais aussi souvent à Cobb. Je l'imaginai sous la pluie, aussi bougon que je l'avais laissé, regardant les chevaux. Cela me procurait un sentiment d'apaisement inhabituel. J'avais très envie de le revoir, mais il appartenait à l'entourage proche de Hassan, et je devais en tenir compte. Je m'étais abonnée à la newsletter des écuries du Keraï, espérant voir des images de Cobb. Ils avaient remporté quelques victoires significatives, et je m'en réjouissais aussi. Il y avait même un petit reportage sur les nouvelles écuries, terminées deux semaines après mon départ. Je n'y étais pas pour grand chose, mais je m'en étais sentie fière de façon absurde.

Je m'étais rapprochée de Nick, par la force des choses. Professionnellement, tout allait pour le mieux. J'avais repoussé ses avances avec fermeté, mais il ne semblait pas du tout m'en tenir rigueur. Il se comporta comme un patron, de façon très correcte et évita dans un premier temps de se retrouver seul avec moi, et si c'était le cas, il prenait soin de laisser la porte ouverte. Il ne voulait pas courir le risque de se faire accuser de harcèlement sexuel, et prit ses précautions.

Maintenant que cela était réglé entre nous, nous découvrions des points communs professionnellement. Nous étions tous les deux mariés d'abord à notre travail. Il n'était pas rare de nous voir rester au bureau le vendredi soir, et nous avions du mal à déconnecter, même les weekends. Nous échangions beaucoup par mail, et je compris qu'il pensait comme moi sur de nombreux points. C'était assez gratifiant de sentir que mes idées étaient partagées. Il réussit aussi à me valoriser en mettant mes idées en avant, sans oublier de rappeler que j'en étais l'autrice.
Notre collaboration était parfaite.


Un soir, alors que nous avions passé encore la soirée sur une présentation, notre équipe termina au bar. Nick nous payait deux tournées, car nous venions de terminer un projet important qui était un des trois plus gros de l'année. Nous sommes partis un à un, et j'allais faire un dernier tour aux toilettes. Quand je revins, Nick réglait la note au comptoir, il n'y avait plus que nous. Il pleuvait dehors à verse, et nous avons attendu en vain un taxi, tous étaient pris d'assaut.

Nick proposa de retourner à l'intérieur et d'attendre que ça se calme. J'acceptai.
Nick était divorcé, il avait un gamin adolescent qu'il ne voyait que rarement, car son ex-femme avait déménagé à Washington et l'avait embarqué avec elle. Il avait tout le temps qu'il voulait car il n'avait son garçon que pendant les vacances. Je supposai donc qu'il voulait juste ne pas se sentir trop seul avant de rentrer chez lui. Mais je me trompai.

Il m'annonça qu'il m'avait choisie pour l'accompagner à Dubaï pour la foire internationale du livre et des nouvelles technologies, dans deux semaines. Il avait pensé d'abord un de mes collègues, mais il pensait à présent que j'étais plus en capacité de l'accompagner.

- Dubaï?

Un vertige me saisit aussitôt. Je vacillai et cherchai un tabouret.

- Hey, ça ne va pas?

Il me retint par le bras et me fit asseoir.

Dubaï était la capitale des Emirats Arabes Unis et très proche géographiquement de Keralbi, les deux pays ayant une frontière en commun. Je savais Hassan très proche de la famille royale de Dubaï. Je tâchai de me raisonner. Il y avait très peu de chances pour que je croise Hassan. Mais je n'étais pas rassurée.

- C'est Dubaï qui te perturbe ou le whisky?

Je mis cela sur le compte de la boisson, mais je voyais mal comment refuser cette offre. C'était une forme de promotion pour moi.

Nul au bureau ne fut surpris de ce choix. Que je parte avec Nick tombait sous le sens. Il y allait chaque année pour se documenter sur les nouvelles voies numériques et le marché asiatique, qui restait le plus difficile à intégrer. C'était l'unique moment de l'année où on pouvait rencontrer toute une catégorie de clients d'habitude trop éloignés. Des accords commerciaux importants se concluaient.
On vint me dire que j'avais beaucoup de chance, car aller avec le patron à la foire du livre internationale de Dubaï était un gage de réussite et un signe de confiance.

La PropositionWhere stories live. Discover now