23. La fuite de Kamila

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Le premier communiqué officiel du Palais fut annoncé à 18h de ce lundi-là.
J'étais encore au travail, mais je m'arrangeai pour être seule à ce moment-là, pour assister au direct.

A la télévision, en direct sur internet, Hassan apparut sur l'estrade.
Le teint pâle, les traits tirés, mais se tenant debout sans aide pour marcher jusqu'à la tribune, il me donna l'impression de quelqu'un qui venait de livrer le combat de sa vie. c'était peut-être le cas. Son pas était lent mais sûr.
Ses yeux noirs étaient plus perçants que d'habitude, car soulignés par des cernes très visibles. Son front était encore barré de cette cicatrice due à l'attentat. Mais cela ajoutait à son charisme.

Une chose avait fait basculer le cours des choses durant le weekend : les états voisins avaient déclaré rapidement ne pas soutenir la révolte, sauf l'état du Jahraïn, qui était un état voisin et souverain, avec une loi islamique très prégnante. Et qui avait probablement vu là une occasion d'étendre son influence.
Vraisemblablement, après ces annonces, l'armée avait vite retrouvé le calme et ceux qui s'étaient révoltés avaient été arrêtés et emprisonnés. Leurs familles étaient en fuite.

Hassan avait passé un long weekend à faire le ménage parmi ses opposants, et visiblement, il avait gagné son combat.

Il prit la parole et d'une voix ferme assura que le calme était revenu au Keraï.
Il traita ses ennemis d'adversaires politiques et assura qu'il n'avait jamais perdu le contrôle. Il s'était assuré de la fidélité de tous ses généraux, et du silence des autres.

L'histoire retiendrait qu'il avait gagné cette bataille, et qu'il avait imposé une bonne fois pour toutes son règne. Elle passerait sous silence la violence des luttes, qui avait valu la mort à quelques dizaines de personnes. 


A peine l'annonce faite, Cobb m'annonça que Kamila partait avec son fils, comme je m'y attendais. Mais au lieu de revenir au Keraï, où son mari l'attendait, elle avait décidé de prendre quelques jours en Angleterre. L'enfant allait bien, il s'était réveillé de son coma peu après mon départ, mais il devait être suivi par des médecins, et elle voulait qu'il soit à l'abri.

Elle avait de la famille proche près de Londres et souhaitait s'y rendre au plus vite. Elle désobéissait à son mari qui lui avait demandé de ne pas bouger de chez moi. Mais je pouvais concevoir sans peine pourquoi elle ne pouvait pas rester dans cette maison.
Elle partit avec son fils dans une berline de luxe sans rien dire à Cobb non plus.

Le personnel me prévint qu'elle leur avait mené la vie dure pendant son très court séjour, elle avait laissé la chambre dans un drôle d'état. En revanche, l'enfant allait très bien. Je demandai aux femmes de chambre de ne toucher à rien, et je revins le mardi soir pour voir cela de mes yeux.
J'allais dans la chambre où elle avait dormi et trouvais les draps chiffonnés. Elle avait jeté à terre et cassé tous les objets précieux qui étaient dans la pièce et avait dévasté aussi la salle de bain.

Je pris des photos et fis le ménage moi-même, jetant les objets cassés dans une grande poubelle. 


Hassan me téléphona en visio-conférence vers 10 heures du soir. Avec un décalage horaire de 3 heures, il était déjà une heure du matin chez lui.

Sa voix était extrêmement lasse et fatiguée, et son manque de sommeil était visible, mais il allait bien.

- J'ai pensé à toi sans arrêt, me dit-il. Tu m'as donné la force de faire ce que je devais faire...

Il me rassura sur l'état de son pays et il me dit que tout irait bien. Il ne pourrait pas me voir avant un long moment car il était nécessaire qu'il assure une présence sur son sol un long moment avant de s'absenter. Mais il s'arrangerait pour que je puisse venir le voir.

Il me demanda comment cela s'était passé avec Kamila. Il ne fut pas étonné quand je lui racontai tout. Je lui envoyai aussi les photos de la chambre dévastée.

Il resta silencieux, même quand je lui dis qu'elle avait disparu.
Mais je vis passer dans ses yeux l'inquiétude et la crainte que Kamila ne commette une folie, qui déstabiliserait son règne une nouvelle fois. Elle avait emmené leur fils, seul héritier pour le moment.

- Comment cela s'est-il passé?

Je lui ai dit qu'il fallait qu'elle quitte le pays avec Saeed quelques temps, pour que je sois libre de mes mouvements et sans inquiétude pour elle. Mais qu'il n'y avait qu'un seul endroit où je pourrais les savoir en sécurité, où personne ne les chercherait.

- Tu aurais pu me prévenir.

- Je n'ai pas pu le faire, tu le sais.

- Elle a déchiré la lettre que tu m'avais adressé. Je n'ai pas su ce qu'il y avait dedans.

- Je te disais que je te faisais confiance pour prendre soin d'eux, que j'étais désolé de t'imposer cela. Je n'ai pas osé dire que je t'aimais dans cette lettre, car je craignais qu'elle n'en prenne connaissance et que cela ne la fasse changer d'avis au dernier moment.

- Je ne suis pas sure qu'elle aurait été dans de meilleures dispositions.

- Elle s'en remettra, dit-il avec une dureté qui me surprit.

- Je n'en suis pas sure, Hassan. Elle était très en colère. Ce qui la travaille le plus est de savoir depuis combien de temps nous nous connaissons. Tu lui as caché cette information. Et tout ce qui a amené notre relation.

- Ne compte pas sur moi pour le faire. Hors de question de le lui dire.

Il avait froncé les sourcils. Je soupirai, moi aussi soudain énervée.

- Elle le saura bien plus tôt que tu ne le crois. Essaie de la comprendre, Hassan. C'est ta femme, elle a appris que nous avions une liaison, je ne suis même pas une femme arabe, et tu me loges ici, dans une de tes propriétés. Enfin, n'as-tu donc aucune compassion pour ce que tu lui as imposé?

- Les conditions étaient particulières...

- Je le sais, ce n'est pas cela que je te reproche...

- Je n'aime pas qu'on se dispute, dit-il. Pas après ce que je viens de vivre...

Nous sommes restés silencieux, face à nos écrans. Nos disputes étaient très rares. Et c'était à chaque fois un fossé entre nous qui s'ouvrait. Il était fatigué, et je savais qu'il m'en voulait de le gronder comme un gamin, surtout après les événements.

- Quand pourrais-je venir te voir?

Son visage s'éclaira.

- Le weekend prochain, tu peux?

- Oui, bien sûr. Mais, Kamila...

- Je vais lui laisser du temps, les gens du protocole feront ce qu'il faudra pour lui signaler que la porte est toujours ouverte. En attendant, je dirais qu'elle est à Londres pour notre fils. Ce qui est à moitié vrai. Il ne serait pas raisonnable pour lui de reprendre un avion, après un tel choc crânien. C'était déjà un énorme risque que nous lui avons fait courir...

- Ils étaient vraiment en danger?

- L'endroit où ils étaient a été découvert, et une faction armée était en route pour les enlever, oui. J'ai pris une décision dans l'urgence.

- Tu as pensé à moi... Alors que tu as de la famille un peu partout dans le monde...

- Je n'avais confiance qu'en toi... Et Cobb est le meilleur quand il s'agit de discrétion aussi.


Il croisa les bras sur sa poitrine, la tête baissée.

- Quelque part, je suis soulagée qu'elle sache que tu existes... Je ne pouvais plus te cacher, pas ainsi.

Je ne répondis pas. Mais je comprenais ce qu'il voulait dire. Même si c'était un énorme choc pour Kamila, et que cela signifiait la fin des illusions d'un mariage idyllique...

Il me jeta un regard à travers l'écran.

- Tu me manques plus que tout, Marie. Je n'aimerais rien de plus que d'être auprès de toi.

- Je serai là ce weekend, moi aussi tu me manques terriblement...


Nous nous sommes parlés encore quelques minutes, puis je le vis bailler et lui dis d'aller dormir, il en avait besoin. 

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