3. Plus jamais

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Tiphaine se rongeait les ongles, le regard perdu sur le jardin à l'extérieur, bordé par la rue. Elle attendait avec impatience le retour de son frère. Bien sûr, il n'arriverait pas maintenant, cela faisait moins d'une heure qu'il l'avait quittée. Pourtant, elle n'espérait que le moment où il apparaîtrait derrière ces murs beiges.

Pour chasser son anxiété, elle quitta sa chambre et rejoignit le salon. Là, elle s'assit sur son tabouret de piano et posa ses doigts fins sur les touches froides de l'instrument. Elle appuya l'un d'eux. Un si résonna dans l'ensemble de la pièce jusqu'à s'éteindre. Puis un fa mineur.

Naturellement, elle commença à entonner le morceau qu'elle devait travailler. Utiliser la musique pour chasser ses appréhensions, c'est ce qui avait toujours fonctionné. Son esprit se perdait dans la mélodie, les notes gravées sur le papier jusqu'à ne faire plus qu'un.

Puis tout s'arrêtait. Et l'anxiété revenait.

— Tiphaine, à table ! gronda son père dans la cuisine.

— J'arrive !

Elle laissa tomber ses bras le long de son corps, l'estomac noué. L'excitation était trop largement tombée. Elle repensait à son frère. Pire que le fait qu'il puisse rendre ce rendez-vous catastrophique, elle sentait le poids de la culpabilité ronger ses entrailles.

Lorsqu'ils étaient enfants, les deux jumeaux adoraient se faire passer l'un pour l'autre. A cette époque, ils étaient encore suffisamment un pour être confondu sans effort. Lorsque l'un n'aimait pas faire une tâche, c'était l'autre qui faisait croire qu'il la faisait. Et inversement.

En grandissant, ils avaient compris que ce jeu ne pouvait pas durer ; même s'ils s'étaient beaucoup amusés, ils ne pouvaient pas le faire si aisément. Les enfants étaient plein de jugements. S'ils n'avaient pas trop de problèmes avec les filles très masculines, les garçons efféminés les faisaient beaucoup rire et attiraient les moqueries. Timothée en avait souvent été victime. Sa puberté tardive avait longtemps fait penser à ses camarades qu'il était une fille, ou même qu'il le faisait exprès. Le collège avait été un véritable enfer pour lui, et elle ne s'en était rendue compte que lorsqu'elle s'était faite passée pour lui un jour où il se faisait porter pâle, songeant encore au jeu auquel ils adoraient se prendre.

Cette expérience traumatisante l'avait bien fait réfléchir. Elle n'avait demandé à son frère d'échanger leurs rôles que lors des cas urgents. Lui ne lui demanda jamais, elle plusieurs fois.

La dernière fois, il s'agissait d'un cours de sport, au collège. Tiphaine refusait de faire chuter sa moyenne car elle n'arrivait à courir plus vite. Elle avait alors supplié son frère de le faire pour elle. Et, par sa gentillesse naturelle, il avait accepté.

Plus jamais.

C'était ce qu'il lui avait dit en rentrant, les joues rouges de honte. Son passage dans les vestiaires des filles avait été traumatisant, mais il n'en avait jamais parlé. Comprenant que leur différence était déjà trop importante, Tiphaine lui avait promis.

Mais elle avait recommencé.

Penser à Adrien, le voir si beau et elle si... elle. Elle en était devenue dingue. Elle avait tant espéré ce moment, le voir ainsi mis en péril à cause de ces boutons la rendait malade.

Mais pire, ce qu'elle venait de faire la rendait malade.

Peut-être avait-elle été excessive. Peut-être lui en avait-elle trop demandé, encore. Parce que Timothée disait toujours oui, il était incapable de résister. Elle en avait abusé.

Deux pour un (BxB)Where stories live. Discover now