Chapitre 8

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Harry
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Un stylo qui danse sur une feuille. Une chaise qui grince. Un acquiescement sommaire et régulier. Des bâillements étouffés. Voilà ce à quoi ressemble chaque séance avec mon thérapeute. J'en ai presque un pincement au cœur de me dire que c'est la dernière fois qu'il m'écoute lascivement parler de mes problèmes, si on peut encore les qualifier ainsi. Je me demande si mes longs monologues vont lui manquer, car je suis persuadé être parvenu à l'amuser plus d'une fois. Le problème c'est qu'aujourd'hui, je suis distrait et n'ai rien préparé de croustillant à lui raconter.

- Bon, c'est la fin alors ?

Dr. Heaton rit légèrement.

- On dirait bien, oui. Répond-t-il simplement sans sourciller.

- Vous allez me manquer.

Il croise les jambes et prend son air narquois.

- Vous pouvez revenir quand vous voulez. M'annonce-t-il d'un ton calme.

- Je sais que vous m'aimez bien, mais ces deux ans de thérapie m'ont amplement suffi.

Il ne bronche pas, comme s'il remettait mentalement en cause ma perception d'être parvenu à vaincre mon ennemi.

- On peut dire que je suis guéri, n'est-ce pas ?

Un rictus lui échappe, mais je ne suis pas certain que ce soit de l'humour.

- Vous l'êtes. Confirme-t-il en retirant ses lunettes de vue, comme il le fait à chaque fin de séance. Votre addiction aux femmes n'est plus qu'un lointain souvenir. Ces derniers mois sans vous en rendre compte, vous avez su prouver que vous n'avez plus qu'une seule et unique personne à l'esprit.

Son récit s'imprime dans mon esprit comme s'il effectuait une sauvegarde définitive. La nuit ayant presque pris possession de son bureau, Dr. Heaton se lève et marche jusqu'à la fenêtre pour rouvrir le store.

- Je ne dis pas que vous ne serez plus jamais un gentleman respecté, au contraire. Continue-il à mon grand étonnement. Mais vous savez désormais faire la part des choses entre l'épanouissement qu'offre une relation stable comme celle que vous vivez avec votre petite amie et l'immoralité d'une dépendance malsaine où seule l'envie de contrôle et de conquêtes prend le dessus.

Il y a quelques années, un tel discours m'aurait paru insensé, puisque j'étais incapable de comprendre que la façon dont j'ai toujours fonctionné vis-à-vis des femmes était en réalité une maladie obsessionnelle. Mes histoires débutaient sans cesse par un désir inavoué de venir en aide à la personne et finissaient toujours pas être destructrices. Me polariser sur une seule relation n'avait pas vraiment de sens pour moi. J'accordais une trop grande importance à la phase de séduction, comme pour rechercher sans cesse cette impression de première fois. Le plaisir que je retirais à rendre plusieurs femmes comblées en même temps m'a mené vers une dépendance. Je finissais par ne vivre que pour ça, à ne penser qu'à ça à longueur de temps. Mes pulsions étaient devenues incontrôlables. Je me sentais obligé de les assouvir. Comme me l'a expliqué mon psychiatre au début de nos séances, définir un début de maladie n'est pas simple, surtout dans les addictions au sexe. Il n'existe pas de limite bien claire et définie. Mais dans mon cas, j'avais déjà fait une part du travail en me considérant moi-même comme malade. J'avais compris que ce besoin irrésistible et obsédant de passer à l'acte était déjà la clé de mon addiction. Ma recherche inlassable de femme à conquérir, qui m'a souvent valu le surnom de Don Juan, n'était en réalité qu'une quête insatisfaite. Une blessure narcissique profonde.

Le cinquantenaire poursuit son analyse en faisant les cent pas à travers la pièce.

- Vous savez, la sexualité n'a pas à être stéréotypée. Après tout, elle dépend de la personnalité de chacun. Durant ce cheminement vers la reconstruction de votre mode opératoire en matière de relation affective, vous avez su vous prouver à vous même que cette hypersexualité que vous cultiviez était néfaste. Désormais, je n'émets plus de doute sur votre avenir sentimental.

YOURS. // Tome 4Where stories live. Discover now