Chapitre 18

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Louis
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Je suis pris au piège d'un sablier. Mes trente-deux années dégringolent comme un château de sable sous lequel je me retrouve peu à peu enseveli. Mon esprit déborde des mille et un grains de tous les choix que je n'ai pas su entreprendre et qui pèsent sur moi à mesure que le temps s'écoule. Je sens l'aiguille d'une pendule marteler ma tête, m'assommant, cherchant à m'enfoncer davantage sous le poids de ces responsabilités non assumées. Une mélodie me parvient au loin. Je la connais. Elle me chuchote de m'extirper de cette impasse. Je hisse mes bras vers le haut, pousse sur mes jambes pour quitter cet enfer. Vite. Il est temps. Je parviens au sommet. Reprends mon souffle. Je me réveille.

Mes yeux s'ouvrent, mais je reste immobile un instant. La sonnerie programmée de mon téléphone portable résonne toujours. L'endroit, qui n'a rien de familier, m'aide à me souvenir que je suis en déplacement. Ce cauchemar était vraiment étrange. La seule analyse plausible est que l'approche de mon trente-troisième anniversaire me travaille peut-être un peu plus que je ne le pense. J'éteins mon réveil, m'étire et pose mon regard sur le premier objet indispensable au bon commencement de mes journées.

Lorsque vous devenez à moitié sourd à l'âge de trente ans après avoir toujours perçu les sons qui vous entourent à la perfection -faisant même de cette ouïe une clé de voûte pour le métier dont vous avez toujours rêvé- il est impossible de ne pas garder un goût amer du passé. J'ai toujours des souvenirs très distincts de ce que j'ai perdu. Les mots, les cris, les voix, les chansons collées à mes tympans, tous ces sons résonnent encore, à tel point que parfois, je m'imagine les entendre de nouveau sans la moindre difficulté. Ce demi-silence qui m'oppresse dès l'instant où mon esprit n'est pas occupé à autre chose me colle à la peau et pourtant, me résigner à cet état d'interminable fiasco aurait été une grave erreur.

J'ai enfin accepté de porter mon appareil auditif tous les jours en constatant que l'oreille gauche, en compensant pour sa voisine défaillante, commençait à montrer des signes de faiblesse. Le médecin avait alors été tranchant en me disant que si je persistais à n'en faire qu'à ma tête, j'en payerais une nouvelle fois les pots cassés d'ici quelques années. J'ai donc décidé de mettre ma fierté au placard et me suis attelé à cette exigence essentielle à ma survie non seulement personnelle, mais aussi professionnelle. Pour moi, il était hors de question de me reconvertir dans autre chose ou de poursuivre ma vie sans carrière musicale. Elle est essentielle à mon équilibre et je ne désespère pas un jour de retrouver une symétrie auditive.

L'appareil, qui amplifie les sons que je devrais percevoir de moi-même m'aide à me rendre compte des progrès. Lorsque je l'enfile au réveil, c'est désormais un pur bonheur de constater les pas en avant. Au départ, j'étais dérangé par le fait qu'il soit visible aux yeux de tous. Je m'arrangeais toujours pour plaquer habilement une mèche de cheveux sur mon oreille de manière à dissimuler l'embout de plastique qui signe mon handicap. Désormais, je m'en fiche totalement depuis que j'ai constaté qu'il n'est plus un frein à ma vie, bien au contraire. Les sons reviennent enfin. Ma surdité s'atténue.

Je suis à Paris pour quelques jours. Ma maison de disques renaît de ses cendres depuis que j'ai pris le taureau par les cornes pour lui donner une seconde vie. Mon studio londonien en revanche n'est plus qu'un lointain souvenir. Je l'ai légué à Liam pour ses projets personnels. Désormais, je me déplace de moi-même jusqu'aux artistes ou groupes qui font appel à moi et j'aime beaucoup ce nouveau train de vie.

Lorsque je suis loin d'elle, Ava me manque autant que je lui manque. Nos petits SMS quotidiens, ponctués de « Je t'aime », s'inscrivent alors dans un rituel bien défini. Il ne se passe pas un matin sans que l'un de nous n'envoie un premier message à l'autre dès son réveil. Nous sommes un peu fleur bleue, il faut bien l'avouer, mais ce n'est qu'entre elle et moi, alors on s'en fiche. Nous avons appris tant de choses ensemble. Nous nous connaissons par cœur, au point de deviner les peines, les attentes et les besoins de l'autre. On anticipe les envies de petits plats chinois, de séries Netflix sur le canapé, de sorties entre amis. Bref. C'est notre histoire à nous.

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⏰ Last updated: Oct 05, 2019 ⏰

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YOURS. // Tome 4Where stories live. Discover now