Les démons du passé (flashback 3)

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Il y a sept ans

Depuis cette fameuse mission en Chine qui s'était déroulée à merveille, mon père me comblait de louanges. Il me donnait de plus en plus d'objectifs à atteindre et ma mère engagea les meilleurs professeurs pour que je puisse suivre des cours à domicile. Je ne voyais personne de mon âge, ni même s'en approchant. Ce dont je ne me rendis pas compte c'est que mon cœur commençait à se durcir et que le peu d'humanité que j'avais en moi commençait à disparaître. Je me sentais vide, il me manquait quelque chose d'essentiel. En effet, quand je n'étais pas à l'entraînement ou en train de travailler mes cours, mes seules occupations étaient d'organiser ma prochaine mission avec minutie et perfectionnisme. Rien ne devait être laissé au hasard. J'avais appris à avoir un regard d'ensemble sur n'importe quelle situation pour m'en sortir indemne. Pour l'instant je n'avais eu à tuer personne et je me contentais de neutraliser les cibles en leur dérobant ce que m'ordonnait mon père. Néanmoins, lorsque j'avais eu dix-huit ans, je me rendis compte bien trop tard que ma vie n'avait été que violence et solitude. J'avais refusé de voir que mon père se servait de moi et que ma mère fermait allègrement les yeux pour ne pas le contrarier. Nicolas David était une personne à laquelle on ne disait pas non. Son sourire charmeur, sa corpulence impressionnante et son sens de la répartie en faisait un homme aux allures puissantes. Il semblait invincible, indétrônable.

Depuis plusieurs mois j'avançais en terrain miné pour savoir si je pourrais éventuellement aller à l'université. Pour la première fois de ma vie, j'avais envie de me mélanger aux autres, de découvrir un monde qui jusque-là m'était étranger. Ma mère changeait de sujet à chaque fois que j'évoquais la question et je n'osais pas l'aborder avec mon père. De toute manière, à chaque fois qu'il me convoquait dans son bureau, c'était pour me tendre le dossier d'une nouvelle cible et non pour avoir une conversation père/fille. Jusque-là tout cela m'avait convenu car pour ne pas souffrir, j'avais occulté tout ce qui débloquait dans ma vie.

Néanmoins, un jour je pris mon courage à deux mains. J'avais étudié pendant des semaines la manière dont j'allais aborder le sujet et maintenant je me sentais prête. Quand je fus devant la porte fermée du bureau de mon père, l'angoisse traversa mon corps. Je paniquais plus que la fois où j'avais dû infiltrer une base aérienne russe pour dérober des fichiers classés secrets-défense.

Je frappai. J'entendis mon père raccrocher son téléphone et m'inviter à entrer. Quand il vit que c'était moi sur le seuil, il me lança l'un de ses sourires paternalistes qui vous mettait au centre de l'attention. Il avait une manière particulière de vous faire sentir importante, exceptionnelle. Il me disait que j'étais son joyau, son étoile...

« Ellie chérie ! Rentre ma princesse ! Je suis désolé mais pour l'instant je n'ai aucune mission à te donner, il va falloir attendre ». Il rit et m'invita à m'asseoir sur le canapé situé devant la cheminée qui ornait chaleureusement la pièce. Le feu crépitait doucement, et ce son me réconforta et m'aida à apaiser la peur qui me vrillait l'estomac. Je m'assis à la place où il recevait ses clients les plus importants. Je me mis à l'aise et pris une grande inspiration.

« Ce n'est pas pour le travail que je viens te voir papa. »

Il sembla soudain interloqué et me rejoignit sur le canapé en passant un bras au-dessus du dossier.

« Est-ce qu'il y a un problème ? ». Il paraissait inquiet et moi j'étais morte de trouille et quelque peu honteuse. Deux sentiments qui voulaient lier mes lèvres. Néanmoins je réussis à continuer ma tirade :

« J'ai regardé les différents programmes des facultés de Paris et j'aimerai beaucoup faire du droit. J'ai notamment vu qu'il y avait un programme spécifique en sciences criminelles qui permettait d'avoir une double compétence en droit américain et en droit français. Il y a de nombreux stages qui sont proposés. En plus, je sais que tu as beaucoup de tes clients qui sont basés à Manhattan et je pourrais ainsi continuer à exercer mes missions. La sélection est sur dossier, néanmoins avec toutes les notes que j'ai obtenues, je devrais y rentrer sans difficulté. Il faut juste que tu signes quelques papiers et que tu payes les frais de scolarité ».

Je repris mon souffle après ce long discours. J'avais parlé rapidement pour donner le plus d'informations en un minimum de temps et pour éviter que mon père ne me coupe. Mais je savais au plus profond de moi qu'il ne voulait que mon bonheur, enfin c'est ce que je pensais... Après mes paroles, son visage s'était fermé et il se leva brusquement. Il paraissait en colère mais je n'en comprenais pas la raison. Soudain il rit mais ce n'était pas le rire que j'aimais et que je connaissais si bien. Il s'agissait d'un rire forcé, aux intonations cruelles.

« Tu as enfreins je ne sais combien de lois en mon nom et tu espères me convaincre que tu veux faire du droit ? Tu as agressé des personnes innocentes, tu as participé à leur assassinat même si ce n'est pas toi qui les a achevées car je t'ai toujours préservé de cela. Tu es une criminelle et tu veux te jeter tête la première dans la gueule du loup ? Tu es complètement folle... Allez ! Retourne t'entraîner et la prochaine fois que tu voudras m'importuner pour ce genre de bêtises, retiens-toi je t'en prie. Un monstre ne sauve pas les gens, il les tue. C'est ce que tu es, Elena, et il faut que tu l'acceptes ».

Son ton était cassant, il m'avait parlé avec une méchanceté à peine cachée et les paroles qui étaient sorties d'entre ses lèvres m'avaient brisé le cœur à jamais. Il avait raison, j'étais un monstre et je m'étais voilée la face pendant toutes ces années. J'avais pris des choses précieuses à des âmes innocentes en espérant tout au fond de moi que ce que je faisais n'était pas mal et que je sauvais simplement ma famille. Néanmoins, je le savais, j'étais stupide... Je connaissais la manière dont cela devait se finir pour eux s'ils avaient aperçu ne serait-ce qu'une partie de mon visage. J'avais fermé les yeux et m'était bouché les oreilles. Je me haïssais. À cet instant, ma colère était plus dirigée contre moi que contre mon père. Pourtant c'était lui qui avait fait de moi ce que j'étais, avec l'aide de ma mère évidemment. Maintenant il fallait que je rachète mes pêchés et ceux de ma famille.

Pour cela j'allai faire tout ce qui était en mon pouvoir, y compris perdre ce qui m'était le plus cher : l'estime de mes parents...

May It BeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant