Les poèmes liquides

Chinaski

Né dans ça

Né comme ça

Dans des hôpitaux tellement aseptisés

Que la rue dehors nous parait insalubre

Né cloisonné dans les rayons d'un supermarché

Conçu pour consommer le poison puis le remède d'une même société

Né sur le papier

Fiché dans toutes sortes de données

Né de l'écran

Des images diffusées devant

L'internet

L'artificiel

Le néant

Né dans ça

Né comme ça

Dans l'imminence

Dans le non sens

D'un monde ou tout va plus vite

Tellement vite que le temps s'achète et se dépense

Se fume, se défonce puis se pense

Comme il le peut

une triste rustine sur la faille béante d'un pneu

Né comme si cela valait encore le coup

Comme si croire en la vie c'était y croire jusqu'au bout

Quelque soit le bout

Quelqu'en soit le coût

Né dans ça

Né comme ça

Avançant à travers ça

Les yeux grand ouvert derrière le bandeau opaque d'une vie déjà tricoté qui défile devant nous

Tournant autour de ça

Autour d'un seul et même poteau

Dans un seul et même sens

Comme les aliénés de la section treize

Né du vin, de la bière, du tabac

Né du joint des armes et de la coca

Né de la monnaie, de l'état dans lequel on naît

Né du tabou

Du secret

Du non-dit

Né comme ça

Dans la stratégie

N'y pouvant pas grand chose

Né de la bienséance

Du confort du silence

Né en trop

De plus en plus nombreux

Et coutant de plus en plus cher

Bouffant trop de viande

Buvant trop d'eau

Respirant trop d'air

Né parasite

Né entre parenthèse

Pour la plupart d'une mauvaise baise

Né comme une mauvaise blague

Comme on offre à la mauvaise femme la mauvaise bague

On est né dans ça

Ejaculé comme ça

A la va vite

Et finis à la pisse

Stressé de tout

Pressé de tout

Calculant tout

Les doigts rongés jusqu'au sang

Tant on se sent bien

Le teint tellement blanc

Que l'on nous croit rentré de vacances

Né de la peur

D'une imitation grossière du bonheur

Le mensonge

La fuite

L'erreur

Né du père

Celui qu'on ne veut pas reconnaitre

Pas plus que lui d'ailleurs

Né en désirant que cela ce soit passé ailleurs

Sans cauchemarder de voir sa gueule bouffer la notre un peu plus chaque matin

Gros et gras

Et de moins en moins brun

Ne ressemblant à plus à rien d'autre qu'à lui

Tout comme un lépreux ne ressemble à plus rien d'autre qu'à la lèpre

Né comme un mauvais poème

Prétentieusement

Dépourvu d'âme et de poésie

Né comme celui-ci