Chapitre 16 (4) Danse macabre

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La demoiselle avait bien du mal à courir accoutrée de la sorte, son masque frottait douloureusement contre l'arrête de son nez à chacun de ses mouvements, sa lourde chevelure semblait vouloir s'échapper de ses épingles meurtrières qui lui rentraient dans le crâne, sans parler du poids de cette robe gigantesque qui la ralentissait constamment et des talons qui lui donnaient l'impression d'avancer sur un fil prêt à se rompre à tout moment. Les invités la dévisageaient, intrigués et ma foi charmés par cette superbe créature toute de rouge vêtue qui s'échappait comme d'un songe. Ladite créature sentait d'ailleurs le souffle lui manquer au fur et à mesure qu'elle passait en revue les visages masqués.

Elle courrait à en perdre haleine, comme le soir où elle avait compris que c'était Brenda la véritable cible. Elle courrait comme si c'était sa propre vie qui en dépendait. Les jambes endolories, elle ne sentit bientôt plus son corps ni la douleur, les poumons en feu et la gorge sèche, de petites étoiles blanches se mirent à danser devant ses yeux. « Un dernier petit effort. » s'encouragea-t-elle silencieusement. Elle tendit désespérément la main en direction de la cape noire qui s'évadait dans le néant quand elle percuta un homme de plein fouet.

Des exclamations indignées retentirent dans la salle et quelques rires moqueurs fusèrent çà et là. Malgré l'urgence de la situation, le spectacle était plutôt comique : par terre, affalée de tout son long sur un gentleman déguisé en prince arabe rougissant à vue d'œil, Jane reprenait difficilement ses esprits. Une dame poussa un petit cri offusqué, visiblement c'était son mari qui se retrouvait au sol, une délicieuse jeune femme entre les bras, n'osant pas bouger de peur de briser cette charmante demoiselle, ou appréciant beaucoup trop son contact pour s'en séparer si rapidement.

Jane ouvrit de grands yeux quand elle se rendit compte de l'embarrassante situation. Les mains posées sur le torse de l'homme, ce dernier affichait un visage pour le moins délicieusement offensé. La contemplant avec des yeux brillants, hypnotisé par cette beauté tombée du ciel. Ou peut-être était-ce l'effet des verres de champagne qu'il venait de consommer sans modération.

La demoiselle jeta quelques coups d'œil autour d'elle, ils étaient encerclés par quelques invités qui se délectaient du spectacle pendant que l'épouse marmonnait avec colère, au bord de l'ulcère.

- Je suis désolée, bredouilla doucement Jane, avant de se relever tant bien que mal, se débattant avec ses jupes et ses pieds tremblants.

- À votre service, réussit à répondre l'homme qui, visiblement, peinait à s'en remettre aussi.

Jane fit mine de remettre de l'ordre dans sa tenue, tout en cherchant hâtivement du regard l'Éventreur qui demeurait introuvable. Une féroce envie de jurer et d'hurler contre ces incapables d'hommes qui se mettaient en travers de son chemin la saisit alors, elle était sur le point de déraper lorsqu'une voix, franchement désagréable d'ordinaire, vint la tirer de ce mauvais pas.

- Miss Spencer ! Quelle surprise et... quelle robe !

Jane jura dans sa barbe. Elle s'efforça de plaquer un sourire connivence sur son visage et se retourna lentement vers la comtesse Barmety, surprenante dans son costume de Marie-Antoinette qui, Jane dut l'admettre, lui allait comme un gant, en dépit du fait qu'elle ne pouvait s'empêcher de la comparer à une montgolfière de rubans et de jupons.

- Comtesse ! Ça par exemple ! Je ne vous aurais jamais reconnue, bafouilla Jane en cherchant activement Jack du regard.

- Moi non plus ! Nous ne savions pas quand nous allions vous recroiser, et pouf ! Voilà que vous tombez parmi nous, c'est le cas de le dire !

- Nous ?

- Mais oui ! Venez ! Ces dames seront ravies de savoir que vous êtes là !

Les Chroniques Infernales - Le Prince des AbîmesWhere stories live. Discover now