Chapitre 32

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Les indigènes s'arrêtèrent devant un énorme trou de plusieurs mètres de large et de profondeur. Soudain un cri bestial se fit entendre, un cri de rage, de faim qui me glaça le sang. Tous m'observèrent puis leur chef commença à prononcer des phrases incompréhensibles. Il agitait ses bras vers le ciel, pris dans une transe qui me surpris. Puis on vint me délier les pieds et les mains. Je vis venir le coup. On voulut me projeter dans le fossé. J'esquivai et alors je compris, j'allais devoir combattre la bête qui se trouvait là. Je n'esquivai pas le prochain coup. Je serrai les dents à l'impact et je retombai sur l'épaule droite. Je me relevai d'un coup sur mes appuis. Je ne m'étais pas trompée. Un jaguar, affamé, se tenait devant moi. Il n'était qu'à quelques mètres. Il s'arrêta subitement de bouger et me fixa de ses prunelles félines. J'avais dégainé un couteau par pur réflexe. Je me remémorai ce que m'avait appris Simon, les points faibles de chaque animal. Je tremblai mais la peur ne me serait d'aucun recours. Je m'efforçai de la chasser. La bête et moi nous dévisageâmes. Je ne pouvais vaincre par la force mais par la vitesse et la stratégie. Je n'aurai qu'une chance, j'allais la laisser attaquer. Ses yeux reflétaient la faim et la violence. Elle était prête à bondir. Mais pendant une demi fraction de seconde je crus lire autre chose dans ses yeux, plus profond. De la peur, oui, de la fatigue et je ne saurais dire pourquoi de la bonté. Son regard intelligent me frappa. Mais l'instinct l'emporta. Elle bondit sur moi. J'esquivai, la bête se retourna et chargea à nouveau. J'esquivai de nouveau. Je haletai, je pensais au même exercice que je faisais avec Simon au début de l'entraînement, esquiver, encore et encore. Cette fois, lorsque la bête se jeta sur moi, je me décalai avant de rebondir et de survoler l'animal. Mon couteau passa sous sa gorge. Un râle d'agonie puis plus rien. J'observais avec un mélange d'horreur et de joie le bel animal agonisant. 

Les indigènes se retirèrent. Je criai. Je leur criai de ne pas me laisser là. Je réussis assez facilement à sortir du trou. Je couru après eux. J'avais gagné, j'avais la vie sauve. Je m'attendais à ce qu'ils m'empêchent d'approcher mais ils n'en firent rien. Je marchais derrière eux à quelques mètres. Leur façon de se déplacer me fascina. Ils étaient si discrets, si silencieux. J'essayai de les imiter, calquant mes gestes sur les leurs. Sans grand succès, les animaux devaient me repérer à des kilomètres. Il fallait absolument que je retrouve les autres. Mon cœur se serra lorsque je pensais à Mino. Où était-il ? Était-il seulement en vie ? Je repensais à notre dernier baiser. Je l'aimais. J'osai faire face à la vérité. Les derniers instants seulement avec lui m'avaient paru magiques, à la cascade. Pour la première fois j'en avais oublié les Outlast games, ce foutu concours. Avant de les rejoindre il fallait soigner mon bras si je voulais avoir la force de les retrouver. Nous marchions depuis un moment lorsqu'ils accélérèrent. J'essayais tant bien que mal de les suivre mais ils allaient si vite ! J'avais du mal à les distinguer de la végétation. Je ne pouvais les perdre, ils étaient les seuls à pouvoir m'aider. J'avais perdu mon sac et j'en étais profondément embêtée. Pourtant je me retrouvai seule cherchant désespérément du regard les indigènes qui avaient disparus. C'est alors que j'entendis pousser un cri humain. Féminin. Je me dirigeai vers la source du bruit. J'arrivais près d'une petite rivière tranquille. Une indigène se tenait là recroquevillée en boule. Deux énormes singes autour d'elle. J'écarquillais les yeux, les deux bêtes lui lacéraient le dos à coups de griffe. Je ne pouvais plus rien pour elle. Déjà je l'entendais expirer. J'aurais dû fuir, je le voulais, je ne voulais plus combattre. Mais il ne suffit que d'une seule chose pour que je change d'avis. Des pleurs de bébé. Je dégainai deux couteaux, ils s'en aperçurent trop tard. Déjà les deux lames leur transperçaient chacun le crâne. Je m'approchai et je découvris l'enfant sous sa mère ensanglantée. Dès qu'il me vit il se tut. Je le pris dans mes bras. C'était une scène désolante. Une envie de vomir me pris. Tout ce sang, cette odeur. Je fermais les yeux et ravala mon dégoût. C'est alors que des indigènes arrivèrent. Leur chef s'approcha, me considéra et ne dit rien. Je ne savais que faire. Il s'approcha de moi. Je lui tendis l'enfant. Je lus de la souffrance sur son visage, il plaqua le garçon contre lui. Il considéra la femme par terre. Son émotion me figea. Les autres indigènes se tenaient en recul lamentés. Était-ce sa femme ? Je ne pourrais dire. C'est alors qu'il leva ses yeux que j'avais trouvé si effrayants sur moi. J'y lu de la gratitude, beaucoup, de la bonté, et de la détermination aussi. Il me prit la main qu'il posa sur son cœur et prononça ce mot « Amaya ». Il me remerciait. J'étais si surprise par ce geste chez des indigènes que certains jugeaient inhumains. Depuis longtemps toute population qui refusait de se conditionner à la société moderne était exterminée. Elle était jugée étrangère et sauvage. Mais qui était réellement les sauvages à ce moment précis. La différence ne faisait pas de ce peuple un ennemi. Le seul barbare est celui qui considère qu'il existe des hommes sans humanité. Ces indigènes semblaient avoir des valeurs honorables, bien plus que ceux des hommes de notre temps. Je me questionnai, d'où viennent les vices des hommes ? Serait-ce la civilisation qui avait rendu les hommes mauvais ? J'observai ces hommes si proches de la nature, qui semblaient innocents, dépourvus de tout sentiment pervers. Tant de peuples comme celui-ci avaient été chassés de leur territoire, anéantis, leur culture avec. C'était improbable qu'ils aient réussi à se cacher aussi longtemps. Le chef s'accroupit ensuite près du corps de la femme. Il ferma ses yeux et murmura doucement :

- Mega omere .

Il se leva ensuite et d'autres indigènes s'avancèrent avant de s'accroupir à leur tour et murmurer à la défunte « Mega omere ».

Puis le chef indigène m'entraîna à sa suite pendant que certains se chargeaient de ramasser les corps. Je les suivais, prise de légers vertiges. J'avais du mal à bouger les doigts de ma main gauche. Nous traversâmes une forêt encore plus dense et j'arrivai dans le cœur de ce qui devait être leur village. Une certaine agitation y régnait. Des femmes s'occupaient d'enfants, des jeunes indigènes travaillaient des armes... Je posai ma main sur mon front, il était bouillant. Ma vision devint floue, je me rappelle qu'on me fit asseoir et boire d'étranges mixtures. J'avais confiance c'est sans doute pour cette raison que je m'endormis.

Ma Pierre de luneWhere stories live. Discover now