ELEANOR I

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Depuis cette sorte d'espace d'observation Eleanor regardait Rolann. Était-ce le même garçon qui quelques jours encore auparavant se faisait sauver par Suzan ? Était-ce le même qui, non content de se renfrogner et de montrer une incapacité manifeste à s'ouvrir, venait sans complexe d'étaler devant tous ses ambitions et ses rêves ? Et quels rêves ! Au fond d'elle-même une conviction se dessinait : cette Épreuve ferait jaillir des participants les plus capables, le meilleur comme le pire. Mais en tous cas, la majorité en ressortirait grandie. Et que dire de sa propre personne ? Depuis qu'elle avait contracté cette alliance avec les Magistères, depuis qu'elle-même était une apprentie, une disciple du Temple, il lui semblait que la vie possédait désormais des saveurs mixtes, plurielles. Oh bien sûr, peu s'avéraient dans le secret mais après tout tant mieux. Je ne tiens pas à m'étaler. Je me rends déjà compte de l'inconfort d'avoir avoué mon ascendance princière... Elle s'attarda aussi sur le fameux Hâmyan. Quel homme, quel athlète, quel combattant. Une sagesse et une fidélité sans pareils se dégageaient de sa stature fière. Il ne parlait guère, adossé au mur de ce temple extraordinaire. Sur son flanc la fille qui lui avait décoché le plus beau des soufflets. Loin de lui en vouloir, bien au contraire, il semblait lui vouer encore un peu plus d'admiration et de dévotion. Les sentiments peuvent nous amener à tant d'extrémités... Et à cause de cette considération, elle ne put s'empêcher de tourner son regard vers le groupe de Shun.

Ces ténébreux cheveux longs, ce visage dur, froid, pur et tellement parfait, ces yeux d'encre soutenant cette fierté altière. Dieu que ce garçon était beau ! Beau et détestable de hauteur. « Je ne peux décemment continuer à poursuivre un idéal qui me fuit. Sans compter cette fille qui le suit constamment, dont part ailleurs il semble s'être sévèrement entiché. Eleanor enfin tu es une princesse ! Une victorienne ! » Suzan s'approcha provocatrice, chatoyante, splendide et élégante. « L'on parle seule princesse ? Une quelconque incantation pour conquérir le cœur tant convoité...? » Eleanor n'aimait guère les manières d'intrigante de Suzan mais elle devait lui accorder une intuition aigüe doublée d'une intelligence à faire pâlir le plus aiguisé des politiques. Elle n'eut guère le temps de lui répondre. En haut encore, tout en haut de ce satané temple, son prénom venait d'apparaître, puissant et huileux, tout d'encre calligraphié. « Eleanor. »  Suzan recula les mains derrière le dos, moqueuse et toutes dents dehors : « Je crois qu'il va falloir aller danser votre altesse impériale ! » Peste... Un autre prénom apparut. Un prénom abhorré. Suzan sembla ravie. Yoroï, qui désormais n'était jamais loin du groupe s'approcha lui aussi. « Eleanor. Surtout garde toute ta tête. Sois forte et réfléchie. Et aussi...»

Il marqua une pause dans son élan avant de reprendre : « Surtout ne te force pas. Si le combat te semble perdu, abandonne. Il ne sert à rien de mourir ici. » Elle le toisa. Savait-il seulement ce qu'elle avait dû endurer jusque-là ? Contre quoi, plutôt qui d'ailleurs, elle se battait ? Les enjeux étaient grands, beaucoup trop grands. Et pire, désormais elle dépendait directement du temple. Les Magistères la regardaient. Pouvait-il seulement comprendre à quel point son destin désormais ne lui appartenait plus à elle seule ? Elle ne lui sourit pas et hocha simplement la tête. En descendant le long des escaliers corps de dragon elle fixait le centre de la salle. Puis une fois au milieu elle ne put décrocher le regard du prénom apparu à côté du sien : Izumi. Shun, lui, n'avait émis aucun bruit, articulé aucun mot, effectué aucun geste. Izumi s'était contentée de se roidir et de lancer un regard à sa meilleure amie Sakura. Laquelle l'avait gratifiée avec douceur et conviction d'un : « Ne perds pas. » C'était le combat rêvé. Elle pourrait démontrer à Shun combien elle s'avérait supérieure à cette sotte de victorienne. A cette princesse qui avait toujours tout eu, et qui par-dessus le marché voulait jouer à la paciféenne, à la Magistère! Par ailleurs c'était également une bonne opportunité d'éliminer une gêne potentielle future.

Le Pacte du Roi Livre IDonde viven las historias. Descúbrelo ahora