Chapitre 3 : Toi en tout cas, t'es vraiment un gros con !

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Lorialet

Les jours qui ont suivi, nous sommes retournés au lac à de nombreuses reprises. Non, tous les jours en fait. C'est une des seules occupations dans le coin, ou en tout cas, c'est la plus adaptée pour nous éviter de cuire sous le soleil estival. L'oncle Eddy m'y a conduit tous les après-midi, prétextant à chaque fois une virée en ville. Je le vois beaucoup y aller, mais pas souvent en revenir avec des motos ou des pièces. Ce ne sont pas mes affaires, et le principal, c'est que je n'ai pas à bosser au garage. Je préfère cent fois me baigner au lac.

On n'a jamais revu les gadjos et la noyée. Sûrement des touristes bourgeois venus expérimenter les étés à la campagne.

Les gars m'ont lâché avec cette histoire, et c'est tant mieux. Finalement, ils ont passé plus de temps à interroger Johnny sur ses pseudos aventures avec les filles qu'à me faire chier. Je suis certain que Johnny ne raconte que des conneries, parce que déjà, les filles de chez nous n'ont pas le droit de parler aux garçons avant leurs seize ans, et celles de la ville nous regardent comme si nous étions des rats. Alors c'est vrai que le Johnny il est plutôt beau gosse avec ses dents blanches et son regard de tombeur, enfin... pour ce que je m'y connais en séduction et surtout, pour ce que j'en ai à foutre !

Les gars m'ont lâché, mais moi, j'ai mis plus de temps à passer à autre chose. Je ne sais pas pourquoi. Et puis chaque fois que j'y repense, j'ai toujours aussi mal aux tripes et j'ai les joues qui s'embrasent. C'est vraiment n'importe quoi !

JE NE L'AI PAS EMBRASSÉE !

— Tu ne viens pas te baigner, Blanquinou ?

— Non, allez-y. Je vais bronzer pour essayer d'avoir la même couleur que ta face de trou du cul, Marlon.

Ce dernier me regarde ahuri, tandis que les autres explosent de rire.

— Comment il t'a tué ! rit Joe plus fort que tous, tout en courant en leur compagnie vers l'eau.

J'aime bien être seul. Même si j'ai ce besoin crucial d'être accepté par les autres, je dois dire que paradoxalement, la solitude ne me pèse pas plus que ça.

Allongé sur le dos et redressé sur mes coudes, je ferme les yeux et me colle dans ma bulle. Je sens les rayons du soleil lécher sur ma peau les gouttelettes de mon dernier bain, et j'entends le chant des oiseaux se mélanger au bruit du vent dans les arbres et aux cris des baigneurs. Je ne connais rien de mieux que cette sen...

— Salut.

— Hein ! Quoi ?

J'ouvre les yeux pour découvrir qui a osé interrompre de cette voix nasillarde mon moment de calme, mais je suis aveuglé par le soleil. Je positionne ma main pour m'en protéger et aussitôt, une silhouette prend forme.

— Salut, répète la voix de crécelle. C'est toi qui m'as sauvé la vie, n'est-ce pas ?

La noyée ! Dans un réflexe des plus étranges, je me redresse aussitôt sur mes pieds et me plante devant la blonde, mains sur les hanches. Elle est encore plus minuscule que dans mes souvenirs. Pas étonnant qu'elle ait volé comme une punaise ! Cette fois, elle est toute sèche et ses cheveux paraissent du coup encore plus blonds que je ne les avais perçus. Un large pansement sur son front témoigne encore du choc qu'elle a pris sur la tête.

— Hein ? Sauvé la vie ? Je... Non. Enfin peut-être bien ouais, tenté-je de lui répondre avec assurance. Mais en fait non et...

— Merci, coupe-t-elle net mon charabia, avant de coller sa sale bouche sur ma joue.

— Mais qu'est-ce que tu fais ? lui crié-je dessus interloqué, avant de la pousser avec brutalité, geste qui la fait aussitôt tomber en arrière.

Avant de m'assurer que je ne l'ai pas trop amochée, je jette un rapide coup d'œil pour être sûr que les autres n'ont rien vu de ce que cette imbécile a fait. Manquerait plus que ça !

— Qu'est-ce que t'as ? Tu chiales ? lui demandé-je d'une voix se voulant dominante.

La blonde, assise sur son cul, essuie sa joue d'une main pressée.

— Jamais de la vie. Je ne suis pas une fillette, me jette-t-elle avec une hargne qui ne manque pas de m'étonner.

Pour autant, je choisis de l'affronter comme si elle avait soixante centimètres de tignasse en moins et un service trois-pièces entre les jambes.

— Ah ouais, et t'es quoi alors si t'es pas une fillette ? Fillette va !

Pathétique. Je suis pathétique de m'en prendre à cette gadji. Comme si je ne pouvais pas plutôt chercher à montrer mon hypothétique suprématie en m'attaquant à un mec...

— Toi en tout cas, t'es vraiment un gros con ! Mon frère avait raison.

Elle se relève, colle son visage de porcelaine au plus près du mien, et à ma grande surprise, elle m'expose sous le nez un majeur bien droit. Puis elle tape du pied et se détourne pour repartir probablement là d'où elle vient.

Moi, je suis sans voix. Et je ne sais absolument pas pourquoi je fais ce que je fais par la suite...

Je la rattrape en deux enjambées alors qu'elle trottine comme une hystérique, son corps et ses bras se balançant ridiculement au rythme de sa rage.

Je la rattrape et... je lui fais un croche-pied magistral. La blonde s'écrase aussitôt au sol, face la première.

Je pince les lèvres et, bras croisés sur le torse, j'attends qu'elle se relève et qu'elle m'offre enfin le visage de la défaite, celui baigné de larmes de la fillette qu'elle est. Mais elle ne bouge pas. Et merde ! Cette fois je panique et m'apprête à la retourner, mais la peste me devance et dans un même mouvement, elle se redresse et me jette dans les yeux une poignée de terre, avant de s'agripper férocement à mes cheveux.

— Mais lâche-moi ! Mais t'es complètement tarée ! Lâche-moi, aïeeeeeuh !

Cette foldingue s'est fermement accrochée à moi avec ses jambes pas plus épaisses que des brindilles, et elle a délaissé mes cheveux au détriment de ma peau qu'elle griffe de toutes parts.

Je dois user de toute ma force pour la détacher, tout en nous amenant au plus près du lac. Quand j'atteins enfin ce dernier, j'arrache la sangsue et la jette aussi loin que je peux dans l'eau.

— Tiens, t'as qu'à te noyer pour de bon cette fois, espèce de grosse dégénérée ! lui hurlé-je dessus, avant de rebrousser chemin et de prendre mes affaires pour quitter l'endroit.

Je ne donne pas cher de ma réputation et des moqueries à venir. Aucune chance que les autres n'aient pas assisté à la scène. Je ne me bagarre pour ainsi dire jamais, et une des seules fois où je le fais, il faut que ce soit avec une nana de la taille d'une crevette et folle à lier !

Je rentre au camp plus remonté que jamais. Je n'attends pas que la tante m'ordonne quoi que ce soit et je m'enferme moi-même dans le garage de l'oncle.

Il ne pose aucune question et me laisse me déchaîner sur les tiges de ferraille que je plie à grands coups de marteau. Puis quand la nuit tombe enfin, je vais directement me coucher, sans rien avaler ni même écouter une de ces stupides histoires pour gamins.

Je mets ça sur le compte de la faim, mais bon sang ce que j'ai encore mal au ventre !

Green Oak (Sous contrat d'édition chez Black Ink Editions)Where stories live. Discover now