Chapitre 6 : Il m'a sauvé la vie bon sang !

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Victoria

— Je t'avais bien dit que ces gars-là étaient des débiles profonds sans éducation !

— Et moi je t'avais prévenu que de les agresser n'engendrerait rien de bon, Frank.

— Je ne les ai pas agressés ! Je n'ai fait que leur dire leurs quatre vérités !

Leurs quatre vérités... La bonne blague ! Mon frère est aussi pétochard que notre chat Mistigris. Il s'est ridiculisé oui ! Et moi avec...

Je pensais que le garçon du lac, James, était gentil. Mais il faut croire que je me suis trompée. Il est arrogant, vaniteux et... méchant.

Je ne comprends pas ce qu'il y a de si compliqué pour lui à accepter mes remerciements. Mais non, lui il me bouscule, me jette dans le lac, m'insulte. J'avais déjà une vague idée de la bêtise des garçons grâce à mes relations malheureusement quotidiennes avec mon grand frère, mais il faut croire que cet état de fait concerne l'ensemble de la race masculine.

Pourtant, j'avais pensé qu'avec l'épisode de l'épicerie, le garçon et moi avions enterré la hache de guerre. Je l'ai tout de même tiré d'une situation potentiellement désastreuse avec Monsieur Harper, et je lui ai offert son Coca ! Maman dit toujours qu'il faut rendre à son prochain ce que lui-même nous a donné. Alors comme il y a peu de chance qu'un jour, l'occasion que je sauve à mon tour James de la noyade se présente, j'ai fait avec mes propres cartes pour lui rendre la pareille. Mais j'ai comme l'impression qu'il ne cesse de se moquer de moi et qu'il regrette certainement ses élans héroïques.

— Pourquoi tu fais cette tête, Victoria ? Ne me dis pas que ce que t'a dit ce plouc t'affecte !?

— Bien sûr que non. Je...

— Bien. Parce que ces gens-là ne sont que des vauriens avec de la boue merdique à la place du cerveau.

Bien sûr que oui.

Évidemment que ça me fait mal qu'un garçon me traite de débile et de moche, qu'il me repousse comme si j'étais la chose la plus hideuse sur Terre, alors que je l'ai embrassé sur la joue pour le remercier. Même si ledit garçon appartient à cette communauté de vagabonds. Frank et mes cousins ont pourtant eu l'air d'apprécier quand ces filles ont fait la même chose l'autre jour ! Ils pensaient que je ne les voyais pas, mais je les ai suivis jusque dans la pinède qui longe le lac. C'était dégoûtant ! Jamais je n'irais coller ma bouche sur celle d'un garçon. De ma place, cachée derrière mon arbre, j'ai même vu des filets de bave dégouliner sur leur menton. Et je ne parle même pas des bruits de succion mouillés répugnants. Beurk !

À ce souvenir que je qualifierais de traumatisant, un autre prend aussitôt place, et machinalement, je pose mes doigts sur mes lèvres et les effleure délicatement. Je regarde ma main, mais il n'y a plus la trace du sang qui tapissait également la bouche de James. Mon sang. Sur sa bouche. Mon Dieu, est-ce que j'ai embrassé un garçon ?

Je passe ma langue sur mes lèvres, mais elles n'ont plus ni le goût métallique qu'elles ont eu quelques jours plus tôt, ni celui éventuel que le garçon aurait pu y laisser. Je ferme les yeux, et derrière mes paupières closes, je vois les siens. Ces prunelles grises qui me fixaient étrangement lorsqu'il m'a préservée de la chute après qu'il m'a réanimée. L'instant fut court et pourtant, j'ai eu l'impression d'être totalement happée par son regard. C'était comme une seconde noyade. J'ai eu cette sensation de plonger et de tourbillonner dans un abysse aussi troublant que familier.

— Mais qu'est-ce que tu fais, Victoria ? me réveille mon frère alors que je me suis arrêtée, les yeux toujours fermés. Dépêche-toi ! Maman va encore m'engueuler à cause de toi !

— Pardon. J'arrive, m'excusé-je en accourant vers lui.

Frank est en colère après moi. Il ne cesse de râler parce que mes parents l'obligent à me trimballer partout, et à cause de mes bêtises, il s'est fait lui aussi punir.

Mes bêtises... Je n'ai fait qu'essayer de les défendre lui et mes cousins, et je trouve ça injuste d'avoir écopé d'une sanction parce que j'ai manqué de me noyer. Peut-être que j'aurais mieux fait de mourir directement, c'est ça ? Pff, je déteste mes parents. Et maintenant, mon frère me déteste également. Voilà à quoi en est réduit notre cercle familial à ce jour. À de la colère et de la haine aussi partagées que réciproques. Re Pff...

C'est en silence que nous regagnons la maison dans laquelle nous séjournons.

Chaque été, nous passons plusieurs semaines chez mon oncle et ma tante. L'air de la campagne fait le plus grand bien à ma mère qui est toujours tellement triste. Je crois qu'elle souffre de dépression. C'est en tout cas le mot que j'ai entendu de la bouche de mon père qui en parlait à son frère. J'ai cru comprendre que c'était comme une maladie, mais au contraire de n'importe quel virus qui ciblerait une seule victime, celle-ci a malheureusement des effets sur tous les autres membres de la famille. Mon père est toujours en colère, mon frère est lunatique, et moi... Moi, je tente de trouver ma place. Mais en fait, je crois bien que je suis également en colère, triste, et probablement lunatique.

De toute façon, quoi que je fasse, ça ne va jamais. Ma mère me reproche d'être un garçon manqué et de ne pas arborer le savoir-être d'une jeune fille bien éduquée, mon frère d'être stupide et énervante, et mon père, c'est simple, il ne me calcule pas. À chaque fois qu'il me croise, je sens dans son regard l'agacement, la déception, et autre sentiment de rejet. Il n'a pourtant pas toujours été comme ça avec moi. Mais plus je grandis, moins j'ai l'impression qu'il m'aime. 

Green Oak (Sous contrat d'édition chez Black Ink Editions)Where stories live. Discover now