Chapitre 9 : Je vais embrasser un garçon

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Victoria

— Mais où est-ce que tu vas encore ? s'écrie ma mère alors que je me rue vers l'entrée.

— Je... Faire du vélo. Il fait beau et...

— As-tu fini de traduire le texte que je t'ai donné ? me demande-t-elle d'une voix plus sévère encore.

— Maman... Ce sont les vacances et...

— Et ce n'est en aucun cas une raison pour laisser de côté tes devoirs !

Ne pas la mettre en colère. Ne pas la mettre en colère. Et pourtant...

— Mais Frank lui, il est...

— Ça n'a rien à voir ! Frank est un garçon et...

— Et quoi ? lâché-je un peu trop fort.

Voici l'argument de taille qui me met le plus hors de moi ! En quoi l'identité sexuelle détermine les activités auxquelles nous pouvons prétendre, hein ? Mon frère a le droit de traîner avec nos cousins, d'aller au lac, de rentrer après le coucher du soleil, mais moi, alors que je n'ai que quinze petits mois d'écart avec lui, je n'ai que l'immense privilège de lire – sous bonne gouverne parentale – de faire du latin, du piano, et accessoirement de faire un tour de bicyclette ! Grr !!! C'est tellement injuste !

J'aurais pensé qu'en grandissant, j'aurais eu plus de liberté d'année en année, mais il n'en est rien. Et au contraire, j'ai le sentiment que mes parents cherchent à m'enfermer davantage. Si ma mère ne me parlait pas si souvent des beaux mariages dont elle rêve pour moi, j'aurais parié qu'elle et mon père envisageaient même le couvent !

Aïe. Je l'ai mise en colère. Ses lèvres sont pincées à l'extrême et elle a ce geste nerveux qui traduit parfaitement que malgré les apparences minimes de ce que j'ai osé lui répondre, je suis pourtant allée trop loin. Sa narine de gauche est prise de spasmes et son œil droit cligne frénétiquement comme s'il tentait d'équilibrer son visage.

— Je sais très bien ce que tu fais lorsque tu pars faire du vélo, jeune fille ! siffle-t-elle entre ses dents serrées.

Son index pointé dans ma direction, elle poursuit ses remontrances d'une voix qu'elle veut contenue.

— Il est hors de question que tu fréquentes ce garçon, tu m'entends ? Une honte pour notre famille ! On dirait ton grand-père... crache-t-elle avec dédain. Et ton père et moi ne t'offrons pas une des meilleures écoles pour que tu traînes avec... Avec ça ! termine-t-elle avec une moue de dégoût.

— Ça ? répété-je pleinement choquée. Eh bien tu vois, lui au moins il ne me juge pas. Et il ne fait pas non plus étalage de son pseudo argent comme vous !

— Ha Ha ! rit-elle de façon mondaine. Et quel argent pourrait-il étaler au juste, hein ? Lui et son peuple ne sont que des sales rats dégoûtants, de la vermine qui vole et tourmente les gens bien. Il y a longtemps que le gouvernement américain aurait dû les renvoyer en Europe !

Je sais que je ne devrais pas répondre, mais c'est plus fort que moi. Et ma rage est telle que je ne suis pas en mesure de retenir mes paroles acerbes.

— Il n'a pas peut-être pas d'argent ni de titre, que tu n'as plus d'ailleurs, mais ses manières sont cent fois plus nobles que les tiennes ! Toi et ta soi-disant bienséance vous me donnez envie de vomir !

— Victoria ! Va dans ta chambre ! hurle mon père en arrivant à notre hauteur.

Je me fige plus encore que je ne l'étais déjà, et seules mes larmes expriment en silence ce que je ressens. J'ai envie d'hurler. J'ai beau ne pas cligner des yeux, elles s'échappent malgré moi et dévalent sur mes joues rouges. Je ne baisse même pas le regard et au contraire, je le laisse affronter l'homme qui pourtant me terrifie le plus au monde. Je sais que je vais payer ma rébellion, mais à quoi bon ? Quoi que je fasse ou dise, Frank senior Delabrey restera toujours ce qu'il est. Un père froid et distant.

Green Oak (Sous contrat d'édition chez Black Ink Editions)Where stories live. Discover now