Chapitre 5 : Cette fille, c'est une bactérie intestinale

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Lorialet

Victoria... Cette fille m'exaspère au plus haut point et pourtant, je n'arrête pas de penser à elle.

Elle n'est pourtant pas jolie. C'est vrai quoi ! Son grand front et ses gros yeux gris prennent beaucoup trop de place sur son visage, et ses cheveux filasse sont bien trop fades. On dirait de la paille. Si je la roulais sur elle-même, je suis certain que j'arriverais à en faire une botte de foin. Si je la revois un jour, il faudra que j'essaie, tiens. Elle parle beaucoup trop, et soyons clairs, elle est plus que timbrée. Miss Monde s'est encanaillée chez l'épicier ! Ooouh, digne d'un séjour en camp de redressement ! Tu parles ! Pas de quoi finir non plus sur une affiche « Wanted » ! Et puis y'a quand même un truc bizarre chez elle... Elle s'habille comme une princesse, porte des maillots de bain à volants, et malgré ses trente kilos toute mouillée, elle n'hésite pas à se battre ni à stupidement faire barrage à une horde de gars qui courent dans sa direction. Bon, niveau baston par contre, c'est clairement la cata. Enfin disons qu'elle se bat comme une fille. Elle griffe, tire les cheveux, mais rien qui ne soit très efficace.

Faut que je passe à autre chose ou bien je vais finir par croire que c'est moi qui ai le béguin pour elle. Beurk ! Impossible. Elle est trop agaçante et bien trop moche. Et elle a quoi ? Douze, treize ans peut-être ? Je n'en sais rien et clairement, je m'en cogne.

Et voilà... Suffit que j'en parle pour qu'elle se pointe avec sa bande. J'ai mal au bide rien qu'en la voyant. En fait, cette fille, c'est une bactérie intestinale.

Bon sang, vivement la fin des vacances pour qu'on récupère notre lac et que je ne la voie plus !

Et merde, ils viennent dans notre direction, alors que nous sommes tranquillement allongés sur nos serviettes. Les autres ne vont pas me louper si elle me parle comme si on était des potes.

— À cause de vous, on a été punis, ma sœur et moi, nous lâche sans préambule le frère de Victoria.

— Tu crois que ça nous intéresse ? rétorqué-je aussitôt et ce, au nom de mon groupe.

J'arbore le visage le plus dédaigneux possible et un regard – je l'espère – suffisamment sombre pour qu'ils comprennent le message. Il ne faut pas que je laisse à la fille l'opportunité de me parler. Mais sac d'os numéro deux, version brun à bouclettes, ne l'entend pas ainsi et continue de déblatérer.

— Nos parents n'ont plus voulu qu'on aille se baigner.

— Je ne viens pas de te dire qu'on n'en avait rien à foutre ?

— Regarde la cicatrice qu'elle va garder sur son front, espèce de taré !

Il attrape vivement le menton de sa sœur avec une main, et de l'autre, il pointe du doigt la balafre qui part de la naissance de ses cheveux à son sourcil gauche.

— Ben ça lui permettra de justifier sa débilité à ta sœur ! Et puis ce n'est pas cette cicatrice qui va la rendre plus moche qu'elle ne l'est déjà. Remarque, elle peut toujours couper le foin qui lui sert de cheveux pour cacher son front immonde.

Je ne bronche pas, le défiant toujours du même regard mauvais. Au contraire, je renforce mon attitude arrogante et méchante, malgré la boule qui vient de se former dans ma gorge après que j'ai prononcé mes dernières paroles acerbes. Et malgré le caractère impétueux de la fille, je vois bien que je l'ai blessée. Ses yeux gris s'embuent, mais toujours aussi fière, elle détourne vivement sa tête lorsqu'elle se rend compte que je la fixe.

— On s'en va, Frank, intime-t-elle à son frère d'une voix tremblante.

Elle le prend par le bras et tire dessus de toutes ses forces, le visage au plus rouge.

Ledit Frank finit par céder, non sans m'avoir lancé un regard équivalent au mien. Il respire à plein nez l'envie de se battre, mais au moins, il n'est pas idiot comme sa sœur et a bien compris que nous étions en supériorité numérique.

La fratrie repart et moi, je baisse mes yeux coupables vers le sol.

— Tu ne les as pas loupés, Demi-sang !

— M'appelez pas comme ça, putain !

Je me lève furieux, ramasse à la hâte ma serviette et quitte le groupe.

Je ne sais pas ce qui me met le plus en colère. Que les miens continuent de me donner des surnoms prouvant leur rejet, bien que j'adopte les mêmes attitudes qu'eux ? Ou que je sois aussi con qu'ils le sont en reproduisant sur cette fille ce qu'ils me font subir ?

Ma rage, à défaut de s'évacuer, me permet au moins d'alléger la pénibilité d'avoir à marcher des kilomètres sous le soleil de plomb. Je rumine, grommelle, laissant de côté ma soif et les douleurs dans les jambes.

Comme à mon habitude quand je suis en colère ou triste, je vais rejoindre l'oncle Eddy. Et comme à son habitude, il ne me pose aucune question et me laisse me défouler.

— Un jour, il faudra peut-être que tu essaies d'en faire quelque chose de tous ces morceaux de ferraille, James ! termine-t-il en me nommant par le prénom que j'ai inventé pour Victoria.

Il m'octroie un clin d'œil de connivence, accompagné de son éternel sourire en coin.

— Disons que ça reste entre nous et que ça pourrait être ton nom rien qu'ici au garage. Qu'en penses-tu ?

Qu'on m'appelle autrement que Lorialet ? Que je n'aie plus à porter le prénom du bâtard au moins durant quelques heures ?

James... Peut-être que ce James pourrait me permettre de devenir quelqu'un d'autre ? Peut-être que lui saurait faire d'autres trucs que de ruminer, et qu'il serait capable de « trouver toutes ces belles choses » qui sont soi-disant en moi ?

— Et qu'est-ce que je pourrais en faire de tous ces morceaux de ferraille, mon oncle ?

— Ça je ne sais pas, James. Non, j'en ai pas la moindre putain d'idée. Allez, en attendant, arrête de rêvasser et viens donc m'aider à soulever ce moteur. 

Green Oak (Sous contrat d'édition chez Black Ink Editions)Where stories live. Discover now