Chapitre 7 : Le vieux chêne vert

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Lorialet

Les jours ont passé, puis les semaines, et à leur tour les mois. Je n'ai pas revu Victoria et son frère. Comme je l'avais supposé, ils ne devaient qu'être de passage ici. Et c'est tant mieux. Ma vie est déjà bien assez compliquée, sans que j'aie besoin d'y ajouter une emmerdeuse.

Mes journées à moi s'enchaînent également, répétant toujours les mêmes schémas. J'étudie le matin, et l'après-midi, je suis avec l'oncle au garage, sauf les jours où il se débarrasse clairement de moi pour aller en ville. Parfois, je peux l'accompagner, mais bien souvent il refuse. Je me doute qu'il doit trafiquer dans des choses louches, mais je suis encore trop jeune pour être intégré. Même Johnny, malgré ses récents seize ans, est mis de côté.

Je n'aime pas trop l'hiver. Ici, il est humide et froid. Pas même la chance d'avoir de la neige. Je n'en ai jamais vu. Tout comme je n'ai jamais vu l'Océan. Avec la pluie, le camp est boueux, et en dehors du travail au garage, ben j'me fais chier. Je traîne autant que je peux avec les autres, mais quand on a fait dix fois les mêmes conneries, comme martyriser ces pauvres escargots qui grouillent sur les murets les jours de pluie, fumer des clopes artisanales dans la vieille locomotive abandonnée derrière le camp, ou crever les pneus de quelques bagnoles, je m'ennuie comme un rat mort.

J'ai bien essayé de trouver les fameuses belles choses qui pourraient être en moi, comme me l'avait vanté Yaya, mais faut pas se leurrer. Et d'une, je suis trop con pour écrire des livres ou même des poèmes, et de deux, je n'ai absolument pas la moindre fibre artistique. Je ne sais ni peindre ni jouer de la musique. Comme je le disais à la vieille Aïda, cette histoire d'enfant de la lune, c'est bien qu'une belle et grosse connerie !

Mais depuis quelques jours, mon moral est au beau fixe. C'est de nouveau l'été, et on va pouvoir retrouver les activités de l'éclate. Les feux de camp, les baignades au lac, les tours de vélo, les tortures sur les touristes. Le pied quoi !

Et aujourd'hui, on fait justement une virée à vélo. Nous avons prévu une ballade jusqu'aux champs de maïs du vieux fermier grincheux. Objectif : couper les épis pour l'emmerder.

C'est Johnny qui nous a refilé le tuyau qu'il tenait lui-même d'un ancien. Le Johnny, il ne vient pas avec nous. Il ne fait même plus rien du tout avec nous. Il a l'âge d'aller travailler. À partir de cet été, il accompagne son père sur les marchés pour vendre des poulets. Un rêve éveillé ! Pauvre Johnny... Obligé de se lever aux aurores et de plumer la volaille sur la place publique. Fini les baignades improvisées !

Comme prévu, c'est son imbécile de frère Joe qui a pris la relève. Le pire meneur de troupes qu'on n'ait jamais vu ! Mais comme pour tout le reste, faut faire avec.

Trois vélos et finalement nous ne sommes plus que cinq. L'avantage d'être le « pouilleux » de la bande, c'est que personne ne va se battre pour partager un vélo avec moi. Ça a du bon finalement ! Ironie à peine crédible...

Bien sûr, on m'a tout de même laissé le plus pourri. Il n'a plus de freins et il grince à chaque coup de pédalier.

Je sens que ça ne va pas être triste quand on va emprunter les descentes. Je pense que je vais me prendre un tel vol plané que c'est de tout mon corps que je vais étêter les épis de maïs du vieux grincheux.

Joe à la tête du peloton, nous quittons le camp. Comme prévu, dès la première descente, je distance le reste du groupe. Et à chacune d'entre elles, je dois me battre contre un équilibre précaire et tenter de ralentir à l'aide de mes pieds, puis attendre en aval que les autres me rattrapent.

On doit en être à la cinquième descente, quand, alors que j'arrive lancé comme un éclair, je vois se dessiner au loin une forme sur la route. J'anticipe le freinage forcé, mais il n'y a rien à faire, je vais beaucoup trop vite et très rapidement, la fameuse forme prend les traits d'un cycliste. Ce dernier semble marcher et traîner son vélo. Mais bon sang, il ne peut donc pas se mettre sur le côté ?

Green Oak (Sous contrat d'édition chez Black Ink Editions)Where stories live. Discover now